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de rupture entre lui et Parnell : il continua, tout en gardant ses idées particulières, à suivre la direction générale imprimée au parti.

Les derniers mois de 1882 avaient été relativement calmes. L’année 1883 s’ouvrit par un grand procès qui passionna l’opinion. Le 13 janvier, le bruit se répandait à Dublin que des arrestations importantes venaient d’avoir lieu en vertu de la loi pour la prévention des crimes. Dix-sept personnes, en effet, avaient été mises sous les verrous. Dans le nombre se trouvait un conseiller municipal de Dublin, James Carey. Le gouvernement, en jetant un pareil coup de filet, n’avait pas agi à la légère. Il était sur la trace de quelque chose de tout à fait sérieux. Il était renseigné par sa police, peut-être même par quelques-uns des individus mis en état d’arrestation. En effet, dès ce début de l’instruction, l’un d’entre eux, Farrell, se déclara prêt à faire des révélations. Il donna des détails sur un projet d’assassinat dirigé contre M. Forster, projet qui avait été sur le point d’être mis à exécution, et qui n’avait avorté que par l’effet de circonstances fortuites. Quelques jours après, un autre détenu, Michel Kavanagh, fournissait des renseignemens d’une nature encore plus grave. Il s’agissait cette fois du drame mystérieux de Phœnix-Park. Le secret que la police avait vainement poursuivi depuis plus de six mois, elle le tenait enfin. Les assassins de Cavendish et de Burke étaient là entre ses mains : James Carey, le conseiller municipal de Dublin, avait donné le signal du crime en agitant un mouchoir blanc. On ne s’attendait pas, dans le public, à une révélation semblable ; on l’accueillit même avec une certaine incrédulité. On s’était habitué à l’idée que le double assassinat de Phœnix-Park, comme beaucoup de crimes irlandais, resterait toujours un mystère impénétrable.

Il fallut bien cependant se rendre à l’évidence lorsque l’on vit James Carey, le principal coupable, entrer dans la voie des aveux. Ce misérable, entraîné par l’espoir de sauver sa vie, ou peut-être même déjà vendu à la police avant son arrestation, raconta tout. Il donna notamment des détails sur une nouvelle société secrète créée depuis 1881, et qui avait joué le principal rôle dans les crimes politiques des deux dernières années. « Les Invincibles, » tel était le nom ambitieux que s’étaient donné les membres de cette association. C’étaient des fenians qui avaient fait bande à part. Carey en était. Il appartenait au fenianisme depuis 1861. Quand le groupe des Invincibles s’était constitué, il y était entré et il y jouait un rôle actif. Le chef suprême de l’association, d’après lui, n’était connu des affiliés que sous le nom mystérieux de Number one (Numéro un). On obéissait aveuglément à ses ordres. C’était lui qui désignait les victimes à frapper, qui choisissait les exécuteurs des sentences de