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devaient se fondre les home rulers, les nationalistes et la ligue agraire.

Deux hommes seulement, dans le parti national irlandais, avaient assez d’importance pour pouvoir être opposés à Parnell : l’un était John Dillon, l’autre Michel Davitt, John Dillon, fils d’un insurgé de 1848, différait d’opinion avec M. Parnell plutôt sur les moyens, à employer que sur le but à poursuivre. Comme M. Parnell, il voulait l’autonomie politique de l’Irlande ; mais, pour y arriver, il considérait l’agitation légale comme insuffisante, et il n’aurait pas reculé devant l’insurrection. Il y avait donc entre lui et M. Parnell le même dissentiment qu’autrefois entre les chefs de La Jeune-Irlande et O’Coonell. M. Parnell est un tempérament parlementaire, M. Dillon un tempérament, de conspirateur. Quand on les voyait l’un à côté de l’autre sur les bancs de la chambre des communes, le contraste était frappant. L’un, avec sa barbe châtain clair, son teint d’un homme du Nord, ses yeux froids comme l’acier, calme, maître de lui, imperturbable en face des attaques les plus directes ; l’autre, plus semblable à un Espagnol du XVIe siècle qu’à un Irlandais de ce temps-ci, les cheveux et les yeux noirs, le visage grave, mélancolique et passionné : un portrait de Velasquez descendu de son cadre. La faiblesse de sa santé, et peut-être aussi ses dissentimens politiques avec M. Parnell, amenèrent Dillon à donner sa démission dans les premiers mois de 1883. Il se retira d’abord en Italie, puis dans le Colorado. Il fut remplacé par M. Mayne, un parnelliste ardent.

Michel Davitt, dont nous avons déjà parlé dans une précédente étude, était en dissentiment avec M. Parnell sur un autre point. Il s’agissait de la question agraire. Tandis que M. Parnell voulait rendre les paysans propriétaires, M. Davitt était partisan de la nationalisation de la terre. C’est une forme nouvelle du socialisme, mise à la mode depuis quelque temps. Les partisans de la nationalisation de la terre vous disent : « Nous reconnaissons la légitimité de la propriété individuelle, mais à une condition. L’homme ne peut avoir en propriété que ce qui a été créé par le travail de l’homme. Or la terre n’est pas dans ce cas ; la terre a été donnée par le Créateur à l’homme, ou plutôt à l’humanité. Par conséquent, l’homme n’a pas le droit de s’approprier la terre. » Cette théorie a été exposée avec de grands développemens dans un livre intitulé le Progrès et la Pauvreté. L’auteur, M. Henry George, Irlandais d’origine ; était établi en Amérique. La première édition de son ouvrage parut à San-Francisco en 1880. La deuxième édition, publiée à Londres en 1882, eut un grand succès parmi les Irlandais, et Michel Davitt adopta les théories exposées par L’auteur. Cependant il n’y eut pas