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de notre flotte, sinon coulé, au moins mis hors de combat et perdu en définitive. »

Peut-on courir la chance de pertes pareilles lorsque les forces navales dont un grand pays dispose ne se composent que d’un petit nombre de cuirassés, qu’il faut des années pour reconstruire ou pour réparer ? Le bombardement d’Alexandrie a montré encore que, si la grosse artillerie d’un cuirassé risquait d’être rapidement réduite à l’impuissance par la résistance des forts, la seule arme qui pût leur causer un grave dommage était la petite artillerie portée sur des navires rapides. Voyant que le feu du fort Marabout inquiétait la division intérieure, le commandant de la canonnière le Condor profita du faible tirant d’eau de son navire pour se porter en avant, de manière à ranger le fort et à engager la lutte en présentant la plus petite surface possible aux coups de l’ennemi. Celui-ci concentra son feu sur la canonnière, mais, en dépit de tous ses efforts, il ne parvint jamais à l’atteindre sérieusement. Le commandant du Condor avait placé une mitrailleuse Nordenfeldt, empruntée à l’Inflexible, dans la hune de sa misaine et le canon de sa chaloupe dans la grande hune, tandis qu’un appareil à lancer des fusées était installé sur le beaupré. Avec ces diverses armes, il fit tirer sur les embrasures des forts. Les coups de la mitrailleuse surtout causèrent de tels ravages parmi les servans des pièces que ceux-ci commencèrent à prendre la fuite ; bientôt trois autres canonnières se portèrent au secours du Condor et, suivant la même tactique que lui, parvinrent à réduire rapidement au silence l’artillerie du fort Marabout. Frappé de ce succès, l’amiral Seymour s’empressa d’appeler les quatre canonnières à coopérer au bombardement du fort du Mex, que ses ouvrages en terre rendaient plus résistant que les forts en pierre à l’action des gros canons des cuirassés.

N’y a-t-il pas là un enseignement précieux et qui prouve que les canonnières de faibles dimensions et de vitesse considérable, munies de pièces de petits calibres, pourront seules désormais se mesurer avec des forts, non pour les détruire, mais pour tenter de les réduire au silence au moyen de coups heureux d’embrasure ? Leur tirant d’eau médiocre et leur agilité leur permettent de changer de place aussi souvent qu’elles le jugent à propos, d’échapper au tir de leurs adversaires, de prendre la meilleure position pour rendre le leur efficace. À Sfax, vu le peu de profondeur de la côte, nos cuirassés étaient forcés de se tenir à de si grandes distances qu’il ne leur était possible de se servir que de leurs pièces de tourelles. Des canonnières se seraient approchées du rivage pour tirer à bout portant, non-seulement sur les ouvrages, mais sur la ville. Or, dorénavant, les ouvrages étant inexpugnables, ou du