Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tures, ses luttes hardies, ses glorieuses entreprises. Le nombre est une garantie d’invulnérabilité non moins sérieuse. Qu’importe, en effet, que, dans une flottille de torpilleurs, plusieurs soient coulés, si les autres, arrivant au but, écrasent l’adversaire ? La destruction de deux ou trois torpilleurs n’équivaut pas, comme perte matérielle, à une avarie grave sur un cuirassé de premier rang. La perte en hommes n’est pas plus considérable que celle que produit sur ce même cuirassé un boulet heureux qui en balaie le pont ou écrase dans la tourelle du commandant, ainsi qu’il est arrivé au Huascar, les officiers et les contremaîtres. Or, pour le prix d’un cuirassé, on aurait au moins soixante torpilleurs. Il n’y a pas d’escadre qui soit en mesure de résister à l’attaque d’une pareille flottille, même en plein jour et sans la moindre surprise. L’exemple de ce qui s’est passé dans la rivière Min est, à cet égard, décisif. Malgré ses excellentes torpilles automobiles, le cuirassé la Triomphante n’a coulé aucun bateau ennemi, parce qu’il n’a pu, retardé par ses dimensions considérables, arriver sur le champ de bataille en temps opportun et que, d’ailleurs, il lui était impossible de manœuvrer avec agilité au milieu d’une flotte légère, dans une rivière trop étroite et trop peu profonde pour lui. Au contraire, les torpilleurs 45 et 46, quoique armés seulement de torpilles portées, se sont lancés résolument contre l’escadre chinoise, à laquelle ils ont infligé des pertes sérieuses. L’un d’eux a été frappé par un boulet que lui a envoyé un navire chinois, auquel il présentait le travers. En supposant qu’au lieu d’avoir affaire à des artilleurs barbares, les torpilleurs 45 et 46 se fussent trouvés en face d’artilleurs européens, tous deux auraient péri peut-être au premier feu ; mais si d’autres torpilleurs les avaient immédiatement suivis, ces derniers auraient frappé l’ennemi avant qu’il eut eu le temps de recharger ses pièces et d’envoyer aux assaillans une nouvelle bordée de mitraille. Et les torpilleurs 45 et 46 sont forcés de se coller aux flancs d’un navire pour le faire voler en éclats ! Les torpilleurs 63 et 64, au contraire, sont doués d’une vitesse maximum supérieure de 2 nœuds à celle des torpilleurs 45 et 46 et lancent leurs torpilles de 200 à 400 mètres de distance. Dans un combat d’escadre, la première rangée de torpilleurs de ce genre risquerait en plein jour d’être détruite ; mais, pendant qu’elle sombrerait, la seconde rangée anéantirait sûrement l’escadre cuirassée. Le nombre et la vitesse sont donc des conditions d’invulnérabilité d’une nature particulière, puisqu’elle ne s’applique pas à chaque instrument de combat pris à part, mais à l’ensemble de ces instrumens réunis. La petitesse des dimensions a la même efficacité, comme moyen de salut ; un torpilleur minuscule est toujours maître de ne présenter à l’ennemi que son avant, c’est-à-dire une cible tellement