d’un usage universel, essayer de la nier ne serait pas une moindre sottise que de l’avoir favorisée lorsque personne ne la connaissait et n’y croyait. La France et l’Angleterre sont dans une voie mauvaise : au lieu d’accepter la situation nouvelle qui leur est faite ; au lieu de reconnaître que le passé est fini et que les conditions de la suprématie maritime sont changées ; au lieu de soumettre leurs navires de combat à une transformation nécessaire, elles préfèrent fermer les yeux à la lumière, nier l’évidence. Plaise au ciel qu’elles n’en soient pas cruellement punies ! Fidèles à des traditions qui n’ont plus de raison d’être, ces deux nations sont presque les seules puissances qui conservent une escadre armée pendant toute l’année, s’imaginant avec naïveté s’assurer par là une supériorité sur leurs rivales. Les Autrichiens, les Allemands, les Russes, les Italiens agissent tout autrement. Persuadés que les escadres armées l’hiver coûtent beaucoup, ne rendent que des services minimes et ne font que peu d’exercices, ils préfèrent n’armer leurs cuirassés que pendant une période assez restreinte de l’été ; mais, en revanche, pendant cette période, ils ne se bornent pas à mettre à flot trois ou quatre bateaux, ils lancent tout leur matériel disponible à la mer, exécutent des manœuvres incessantes, forment un personnel considérable à la vie maritime. Durant l’été qui vient de s’écouler, les Italiens ont mobilisé presque tous leurs torpilleurs, et les Autrichiens, dont le budget n’est que de 30 millions, tandis que le nôtre est sur le point d’atteindre 200 millions, ont armé six cuirassés, six torpilleurs, trois avisos, avec lesquels ils ont exécuté des manœuvres que l’on n’a pas osé tenter dans notre escadre. Leurs quinze bâtimens ont été partagés en deux divisions, comprenant chacune trois cuirassés, un aviso et trois torpilleurs, l’aviso amiral restant neutre. Ces deux divisions, après avoir fait des exercices d’ensemble, simulaient des combats d’escadre ; elles couraient au-devant l’une de l’autre, chaque cuirassé ayant un torpilleur sur ses flancs. Arrivés à bonne distance, l’artillerie commençait le feu, les bâtimens disparaissaient dans la fumée ; les torpilleurs choisissaient ce moment pour s’élancer au combat ; sitôt aperçus, ils étaient accueillis par le tir de l’artillerie et de la mousqueterie des hunes, mais bien souvent ils n’étaient vus que lorsque leurs torpilles étaient déjà lancées. Ces exercices ont été complétés par plus de trois cents tirs exécutés tant à bord des bâtimens que sur les torpilleurs ; ces derniers ont effectué en outre, en l’espace d’un mois, douze attaques de nuit dans des conditions très diverses : tantôt l’escadre était au mouillage et se défendait avec sa lumière électrique et ses embarcations ; tantôt elle était en marche, elle prenait chasse devant les torpilleurs et cherchait à les écraser sous le feu de ses canons. Les résultats fournis par cette campagne ont
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