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fumée du combat n’enveloppe le navire, parcourt sans cesse le cercle entier de l’horizon. La nuit, c’est bien différent. Pour éclairer les cuirassés, on a armé chacun d’eux de deux lampes électriques qui projettent au loin leurs rayons dans la mer. Mais ces rayons n’en illuminent qu’un seul point à la fois. Tout le reste est plongé dans une ombre que le contraste avec les rayons lumineux rend encore plus opaque. Si le cuirassé est attaqué par plusieurs torpilleurs, il est possible qu’il en coule un ou deux, que ses projecteurs électriques lui auront permis de viser ; mais, pendant qu’il les coulera, ne sera-t-il pas coulé lui-même par les autres torpilleurs ? D’ailleurs, nul n’ignore combien une surveillance constante et constamment active épuise vite un personnel marin, surtout lorsqu’elle a pour cause l’émotion du plus terrible des périls. Le cuirassé, poursuivi par une flottille de torpilleurs, est condamné à une veille incessante qui démoralise les équipages les plus aguerris. Les machines elles-mêmes souffrent de cette tension perpétuelle ; les lampes électriques, toujours allumées, toujours en mouvement, s’usent à ce service forcé. Au début, hommes et instrumens, parfaitement préparés, parfaitement dispos, étaient à l’abri de toutes les surprises. Mais, à la longue, la fatigue, l’incertitude, l’effort trop longtemps soutenu, produisent d’inévitables conséquences ; or, il suffit de quelques secondes ou d’oubli ou de lassitude de la part des matelots et des officiers de quart, d’un mécanisme qui se dérange, d’un rayon lumineux qui s’éteint ou dévie, pour produire d’épouvantables désastres.

Et ce ne sont pas là, comme on le soutient encore, des raisonnemens de pure théorie, des inductions sans preuves ; la nuit, le résultat est certain : des expériences d’attaque de gros bâtimens à vitesse moyenne par les torpilleurs ont été faites en France et dans certaines escadres étrangères ; partout les résultats ont été les mêmes, partout le microbe a tué le géant ; partout le gros navire a été atteint par la périssoire et n’a pu résister à ses coups. La défense mobile de Toulon a la première tenté en France ces essais de combat. Quelle que fût la surveillance des bâtimens manœuvrant au large et prévenus de l’attaque des torpilleurs, quelle que fût la puissance de leurs feux électriques, les torpilleurs ont toujours eu l’avantage ; toujours un ou plusieurs des assaillans ont pu s’approcher suffisamment du bâtiment à attaquer pour lancer leurs torpilles à coup sûr avant que leur présence fût signalée. Nous ne relaterons pas les détails de ces expériences, entreprises sous l’intelligente direction de l’amiral Du Petit-Thouars ; nous nous bornerons à rappeler celle qui a été faite plus tard dans notre escadre d’évolutions, et dont les amiraux Jaurès et Aube ont pris l’initiative. L’attaque de cette escadre, sur nos côtes d’Algérie,