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mais lorsque sa vitesse tombait au-dessous de 8 nœuds, ils étaient forcés de la dépasser, leur machine ne leur permettant pas une marche aussi lente. L’impression produite par cette belle tenue de deux navires de 33 mètres et de 45 tonneaux a été considérable ; on peut dire que l’écho en a retenti dans l’Europe entière et qu’il n’a pas été étranger aux expériences qu’ont faites immédiatement toutes les nations maritimes. Dès lors, il n’a plus été douteux que le problème de la navigation à grande vitesse sur des bateaux relativement minuscules fût résolue. Mais ces essais de navigation ont été poursuivis. Les torpilleurs 63 et 64 sont restés attachés à l’escadre, ils l’ont accompagnée en Corse, en Algérie, en Tunisie, au Maroc ; ils ont parcouru avec elle tout le bassin occidental de la Méditerranée. Malgré leur petitesse et leur peu d’élévation sur l’eau, même par gros temps et grosse mer debout, ils ont joui d’une sécurité complète et n’ont jamais subi d’avaries sérieuses. Sans doute, dans les coups de vent de quelque durée (les plus longs ne vont pas au-delà de quatre à cinq jours), il a fallu prendre certaines précautions, naviguer sous l’allure la plus convenable ; mais on agit ainsi avec tous les bâtimens marins et les gros cuirassés peuvent seuls, s’affranchir de cette règle. Leur machine s’est montrée excellente, elle n’a éprouvé qu’une difficulté, celle de se soumettre à la vitesse normale d’une escadre en marche. Le moins qu’on puisse lui demander est la vitesse de 8 à 9 nœuds. Mais c’est là une qualité de plus ; car, pour attaquer les escadres, les torpilleurs doivent aller plus vite qu’elles. La vitesse et l’agilité sont les conditions mêmes de leur succès.

L’épreuve de la navigation des torpilleurs a donc été complète et concluante. Il restait néanmoins à savoir quelle serait leur valeur comme engins militaires. Les marins ne manquaient pas pour soutenir que, si minces qu’ils fussent, les torpilleurs n’échapperaient jamais à la surveillance des cuirassés, qui, les distinguant à une grande distance, parviendraient infailliblement à les couler avant d’être atteints par eux. Les cuirassés sont armés de canons particuliers : canons Hotchkiss, canons Nordenfelt, etc., espèces de mitrailleuses fort légères qu’on place dans les hunes et le long des murailles des navires, et qui peuvent de là lancer une pluie de balles sur tout assaillant. Mais on ne saurait user de ce moyen de protection, dont l’effet est d’ailleurs beaucoup moins sûr qu’on ne le dit, qu’à la condition d’apercevoir les torpilleurs d’assez loin pour les tenir quelques minutes sous le feu du cuirassé. Grâce à leur vitesse, ils s’avancent sur ce dernier avec la rapidité de l’éclair ; si on ne les reconnaît qu’à quelques centaines de mètres, qu’à un mille même, on est perdu. Le jour, le danger est moins grand, car l’œil, à moins que la brume ne soit épaisse ou que la