Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/889

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’atteindre ; il fut déclaré immédiatement hors de combat. Cette torpille avait été lancés par un des bâtimens pêcheurs à bord duquel se trouvaient trois officiers de marins déguisés en marins de commerce. Ainsi cet engin de guerre, que l’on prétend si fragile, si délicat, les Russes, ont pu le placer et le conserver durant plusieurs jours dans une petite embarcation de pêche ; ils ont pu le lancer par un moyen de fortune quelconque, et le succès n’en a pas été moins grand, car non-seulement la torpille a toucher le bateau-amiral, mais il y a eu encore explosion de l’amorce, qui avait été mise en place au milieu d’une fausse charge afin de vérifier le fonctionnement du percuteur !

L’épreuve de la valeur de la torpille automobile, comme arme de combat, est donc faite. Mais, nous l’avons déjà dit, tant qu’on était obligé de la placer sur des cuirassés auxquels la portée de leur artillerie permet de ne point s’approcher les uns des autres dans le combat, on pouvait en contester l’usage, sinon l’efficacité ; prétendre du moins que l’emploi en serait restreint ou secondaire. Portée par des thornycrofts sur les côtes et aux abords des rades, elle devenait terrible. En pleine mer, on n’avait guère à la craindre, son rôle restait toujours douteux. On a pu vivre avec cette illusion, ou, pour beaucoup, avec cette espérance, jusqu’au mois d’avril 1884, époque où les torpilleurs autonomes capables d’affronter les plus grosses mers et d’y faire de longues traversées, ont fait leur apparition dans notre escadre. Ces torpilleurs n’étaient pas les premiers qui sortaient victorieux d’une pareille épreuve. Déjà des torpilleurs construits par des maisons anglaises soit pour la Grèce, soit pour les états de l’Amérique du Sud, s’étaient rendus seuls, sans escorte et sans accident, quoique non sans tempête, dans les pays auxquels ils étaient destinés. Les deux torpilleurs de l’escadre, les torpilleurs 63 et 64, œuvre du plus habile de nos constructeurs, M. Normand, étaient venus eux-mêmes, dans des conditions semblables et avec un succès non moins grand, de Brest à Toulon. Mais des expériences qui n’avaient point été publiques ne pouvaient frapper l’opinion. Il en a été tout autrement de la brillante sortie des torpilleurs 63 et 64, le 14 avril 1884. L’escadre avait appareillé le matin par grand vent d’est ; à l’entrée de la rade des îles d’Hyères, dès qu’elle eut quitté l’abri de la terre, la brise fraîchit, le vent se déchaîna avec une violence extraordinaire ; la mer devint bientôt si forte que deux gardes-côtes cuirassés, le Vengeur et le Tonnerre, se virent dans l’impossibilité de continuer à suivre les cuirassés : le premier chercha un refuge sous le fort de Brégançon, le second dut continuer sa marche en route libre. Loin d’imiter cet exemple, les deux torpilleurs ont montré une sûreté de marche extraordinaire ; non-seulement, ils ont suivi l’escadre à la vitesse de 10 nœuds,