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est permis d’assurer que quatre-vingt-quinze fois sur cent un bâtiment de 70 mètres eût été atteint à des distances variant de 250 à 400 mètres. Qu’on ne vienne donc plus nous dire que la torpille est une arme peu sûre ! Entre les mains d’un personnel instruit et entraîné comme celui du Japon, elle est d’une précision admirable qu’on atteindra sur tous les navires où l’on fera les mêmes exercices que sur celui-là.

Mais on ajoute que la torpille Whitehead a beau être précise, son extrême délicatesse ne permet de s’en servir qu’avec des précautions infinies ; la moindre chose dérangerait son mécanisme merveilleusement compliqué ; ce chef-d’œuvre d’horlogerie ne saurait résister à tous les hasards de la guerre et des voyages lointains. Deux faits qui se sont passés cette année même prouvent à quel point cette opinion est erronée. Le seul bâtiment armé de torpilles Whitehead qui se trouve dans notre escadre de Chine est le cuirassé la Triomphante ; ce navire, parti de France depuis près de deux ans, possède quatre tubes de lancement et huit torpilles automobiles ; il a comme personnel spécial un officier torpilleur et deux mécaniciens Whitehead ; de temps à autre, il exécute des exercices de lancement[1] et ses torpilles sont encore en ce moment en aussi bon état qu’au départ. Le jour même de la surprise de Lang-Son, Li-Hung-Chang s’était rendu sur ce cuirassé mouillé à Tchéfou ; après lui avoir montré l’artillerie du bord et les autres appareils militaires, le commandant lui proposa d’assister à un tir de torpilles Whitehead ; le tube de lancement fut pointé à 30 mètres de l’avant du Volta, distant de 300 mètres ; la torpille fut lancée, et, au grand étonnement du vice-roi du Petcheli, étonnement que certains de nos amiraux partageraient sans nul doute, elle suivit une trajectoire rectiligne qui la fit passer exactement à l’endroit voulu. Il est regrettable que les dimensions de la Triomphante ne lui aient pas permis d’arriver à temps au combat de Fou-Tchéou, car elle aurait peut-être coulé avec une de ses torpilles lancées à 300 mètres un bâtiment chinois. Le second fait, non moins significatif que le premier, s’est produit durant les manœuvres russes. L’escadre du vice-amiral directeur de l’artillerie venait d’appareiller pour aller à la recherche de l’escadre ennemie, et elle passait à une encâblure (200 mètres) de quelques bateaux de pêcheurs, qui paraissaient fort occupés avec leurs filets, quand le vaisseau-amiral sentit une petite secousse à tribord derrière. C’était une torpille Whitehead qui venait

  1. Quand on lance une torpille, si le but est manqué, un mécanisme spécial la fait couler au fond de la mer. Pour les exercices, la torpille possède un autre mécanisme spécial qui, au lieu de la faire couler au fond, la ramène à la surface où elle est facilement recueillie ; de sorte que la même torpille peut servir indéfiniment à des tirs d’exercice ; précaution utile, car les torpilles coûtent fort cher.