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le point sensible. C’était expliquer aussi comment, dans tant de circonstances (la statistique conclut à 50 pour 100 pour les chiens, 80 pour 100 pour les hommes), la rage inoculée par une morsure ne se déclare pas. C’était enfin rendre possible des recherches qui n’auraient pu avoir lieu si l’opérateur n’avait point eu la certitude d’inoculer le virus rabique, suivant la nécessité de ses expériences, et de voir la maladie se déclarer aussitôt.

Les résultats actuellement acquis sont les suivans : la culture dans l’organisme du singe diminue la virulence ; la culture dans l’organisme du lapin l’augmente. Après de nombreux essais, un système de vaccination pour les chiens a pu être adopté. Un singe est inoculé par trépanation ; il meurt au bout de huit à dix jours. De petits fragmens de bulbe sont introduits dans le cerveau d’un lapin. Le bulbe de celui-ci sert à vacciner des chiens par inoculation sous la peau. M. Pasteur possède actuellement un certain nombre de chiens qui sont absolument réfractaires à la rage, et qui ont résisté même à l’inoculation dans le cerveau.

Les résultats pratiques des travaux de M. Pasteur sont déjà inappréciables, et, comme les plus grands esprits scientifiques, il a ouvert une voie nouvelle ; les lois qu’il a découvertes occuperont après lui plusieurs générations de savans.

Le premier il a bien compris le rôle des êtres vivans infiniment petits dans la nature, et l’immense activité de ces êtres, si dédaigneusement comparée par Liebig à celle de quelques petits moulins tournant sur le Rhin. Si la matière organique de tous les cadavres tombés sur la surface de la terre se désagrège et se répand dans l’atmosphère à l’état de gaz et de vapeurs, pour aller nourrir de nouvelles générations ; s’il s’opère ainsi un mouvement, une circulation de matière, comparables au mouvement et à la circulation des eaux que la chaleur du soleil évapore et qui redescendent des montagnes à la mer, les agens de ces grands phénomènes sont les fermens organisés. Passant de l’action des fermens sur la matière qui a vécu à leur action sur la matière encore vivante, M. Pasteur le premier a justifié ces paroles prophétiques du physicien anglais Robert Boyle : « Celui qui voudra sonder jusqu’au fond la nature des fermens et des fermentations sera sans donc beaucoup plus capable qu’un autre de donner une juste explication des divers phénomènes morbides, aussi bien des fièvres que des autres affections. Ces phénomènes ne seront peut-être jamais bien compris sans une connaissance approfondie de la théorie des fermentations. »


Denys Cochin.