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Les cristaux de forme polyédrique régulière peuvent être séparés en deux parties par un plan, de telle façon que les deux parties soient identiques l’une à l’autre, superposables l’une à l’autre ; placez ces deux parties en face d’une glace : l’image et la réalité seront absolument semblables. Le plan qui a séparé les deux parties est appelé plan de symétrie. La plupart des objets n’ont pas de plan symétrique. Les êtres vivans n’en ont point à proprement parler, car les parties laissées à droite et à gauche par un plan qui séparerait le corps en deux ne sont pas superposables l’une à l’autre ; le gant de la main droite ne saurait en aucune façon être ajusté à la main gauche : si je lève la main droite devant une glace, c’est une main gauche que j’y verrai.

M. Pasteur s’aperçut, après un examen minutieux, que les cristaux de l’acide tartrique et de ses sels possèdent aussi une droite et une gauche. Ils sont dissymétriques. Certaines facettes sont disposées de telle façon que, si l’on suppose le cristal coupé par un plan, les deux parties ne pourront pas être superposées, et que, s’il est placé devant une glace, on verra la partie gauche dans l’image de la droite et vice versa.

C’est cet acide tartrique qui, réduit en solution, faisait tourner le plan de la lumière polarisée. M. Pasteur pensa que l’acide paratartrique, étant sans action sur la lumière, devait donner des cristaux symétriques. Il s’empressa d’examiner ces cristaux ; et grande fut sa surprise de les trouver dissymétriques comme les premiers. Seulement leur dissymétrie avait deux sens : il y avait des cristaux droits et des cristaux gauches, pas plus identiques entre eux que les gants de la main droite et ceux de la main gauche. Il sépara patiemment les uns des autres et les trouva en poids égaux. La solution des premiers faisait tourner le plan de la lumière polarisée vers la droite ; la solution des seconds vers la gauche. Avec le mélange, en quantités égales, les deux actions, en sens opposés, étaient annulées.

M. Biot était occupé alors de ses expériences restées célèbres sur la lumière polarisée. Dès qu’il apprit la découverte du jeune agrégé de l’École normale, il le fit venir et lui confia des cristaux de paratartrate de soude et d’ammoniaque, qu’il avait voulu préparer lui-même avec des précautions infinies ; le priant de les séparer, comme il l’avait fait déjà, d’après l’examen de leurs formes. Mais il faut laisser M. Pasteur lui-même raconter ce qui suivit : le récit est tiré d’une de ses leçons : « M. Biot prépara les solutions en proportions bien dosées, et au moment de les observer dans l’appareil de polarisation, il m’invita de nouveau à me rendre dans son cabinet. Il plaça d’abord dans l’appareil la solution la plus intéressante, celle qui devait dévier à gauche. Sans même prendre de mesure, par