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avantages pratiques. L’art des ingénieurs a profité des travaux abstraits des mathématiciens. Combien d’œuvres de laboratoire, entreprises pour le seul plaisir d’apprendre, sont venues offrir de nouvelles ressources à l’industrie ! L’Amérique, si fière de son esprit pratique et de son activité commerciale, serait fort en peine si les savans de la vieille Europe, autrefois et aujourd’hui encore, n’avaient pas travaillé pour elle. Ces savans considéraient la science comme une noble jouissance intellectuelle et ne poursuivaient que le progrès de leurs connaissances : chemin faisant, ils ont enrichi leurs contemporains.

Il est assez rare que le véritable inventeur, — celui qu’on peut appeler l’inventeur du principe, — soit le même que l’inventeur de l’application. Dans un siècle où est né un Ampère, il y a une multitude d’esprits habiles qui imaginent des appareils, modifient des dispositions de détail, émerveillent le public par des expériences brillantes et finissent par appliquer la découverte scientifique à des usages industriels.

Ainsi le laboratoire où la science pure est cultivée est, d’une part, assiégé par les industriels ; il nous semble voir les philosophes frapper à l’autre porte. Les premiers tireront de la dernière observation du savant un moteur nouveau, une lampe, un compteur à gaz, un procédé pour fabriquer la soude. Les seconds attendent le résultat de l’expérience qui s’achève pour publier un nouveau système de l’univers.

Heureusement pour le culte de la vérité, la science a toujours attiré et satisfait certains esprits indépendans qui détestent les systèmes, les bouleversent souvent sans s’en douter et aiment pour elle-même l’étude de la nature. Aucune idée préconçue ne les domine ; ce ne sont ni des Bernardin de Saint-Pierre ni des Büchner : ils ne veulent ni montrer partout des causes finales, ni étendre à toute chose les lois de Force et Matière. Dans leurs recherches fécondes, jamais les besoins de la cause n’ont faussé les résultats de l’expérience. Ils pénètrent dans les secrets de ce monde sans autre ambition que de voir et de connaître ; et, suivant l’exemple même du Créateur, ils livrent, non sans quelque dédain, les résultats de leur labeur aux disputes des philosophes.

M. Pasteur, arrivé aujourd’hui à la plus haute renommée qu’un savant ait pu atteindre en son siècle, s’est dévoué d’abord et avant tout à la science pure. Mais il n’a pas dédaigné les applications, et il a eu la rare bonne fortune de pouvoir lui-même mettre en pratique ses découvertes, dans l’industrie d’abord, puis dans la médecine. D’autre part, élu membre de l’Académie française à la place de Littré, il a montré aux philosophes que son puissant esprit savait les comprendre : dans un langage à la fois noble et précis, il leur a