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suffrage universel, quand la nation n’est unanime que sur un point, l’aversion pour l’ancien régime, ils n’ont pas craint d’adopter ce nom de guerre provocateur qui, selon la remarque d’un catholique peu suspect de sympathies révolutionnaires, « confond dans une obscurité déplorable ce qu’on doit conserver et ce qu’on doit combattre[1]. » On comprend les tristesses et l’effroi, on comprend les colères de certains catholiques en voyant arborer comme symbole un nouveau labarum sur lequel, au lieu du monogramme de Constantin, est inscrit ce mot de contre-révolution, érigé en signe de salut ; en voyant, sous cette bannière plus politique que religieuse, de naïfs et bruyans agitateurs s’efforcer d’entraîner l’église à l’assaut de la société moderne.

Et, qu’on ne s’y trompe pas, pour ces orateurs ou ces journalistes qui se flattent de détruire la France nouvelle, ce n’est pas là une vaine devise, mais bien un programme qu’ils prétendent imposer et appliquer. Alors que l’église, qui a vu naître et mourir les empires et les dynasties, l’église, plus vieille que tous les états et toutes les constitutions, s’est toujours fait un devoir de ne s’inféoder à aucun régime, à aucune de ces mobiles formes de gouvernement qui varient avec les siècles comme la coupe des habits, les docteurs du nouvel ultramontanisme vont répétant qu’il n’y a d’acceptable pour la religion que ce qu’ils appellent la monarchie chrétienne. Hors de là pas de salut ! il n’y a, pour la France, qu’une sorte de damnation politique. Et cette monarchie chrétienne, qu’en 1852 leurs maîtres s’imaginaient avoir retrouvée dans l’empire plébiscitaire sous l’aigle pseudo-romaine de la dynastie corse, ils l’ont depuis redemandée aux fleurs de lis du drapeau blanc et au Versailles de Louis XIV et de Louis XV.

La royauté absolue, aux trois quarts païenne d’esprit et d’origine, où le monarque se vantait d’être l’état ; le régime du roi-soleil, qui avait poussé l’adoration du trône jusqu’à l’idolâtrie et renouvelé à la face du christianisme les apothéoses des césars romains ; le régime du bon plaisir, des favoris et des favorites, décoré par eux du titre de royauté chrétienne, ils l’ont audacieusement érigé en idéal et en modèle, oubliant qu’à l’époque où cette monarchie était dans tout son éclat, le plus évangélique des évêques de France en détournait les yeux avec tristesse et cherchait un refuge au fond des fictions dans sa romanesque Salente.

Non moins aveugles sur le présent que sur le passé, ils se sont attachés avec passion à ce que l’ancienne royauté avait pour les générations modernes de plus répulsif ; et quand la fortune ou la

  1. M. de Falloux, Mélanges, t. II, p. 365.