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leurs défaites répétées des dernières années ne les ont pas éclairés. Ils n’ont pas vu que, si la troisième république les a traités d’une manière si différente de la seconde, cela tenait en grande partie au changement d’attitude du clergé et des catholiques vis-à-vis de la république et vis-à-vis des libertés modernes. Loin de là, leurs organes les plus écoutés, les moniteurs attitrés du clergé, n’ont eu de satisfaction qu’en accentuant ce revirement, qu’en fournissant des alimens aux haines et aux préventions populaires, qu’en se jetant témérairement au travers des vœux et des sympathies du pays. Oublieux de la recommandation de Montalembert de dégager la religion de toute solidarité politique, oublieux que « l’alliance de l’église avec les partis, à plus forte raison avec les coteries, est le pire des régimes qu’on lui puisse souhaiter[1], » ils se sont plu à confondre les intérêts spirituels avec les intérêts temporels, ils n’ont rien épargné pour enchaîner le catholicisme à un parti politique, et, dans ce parti, à la fraction la plus exaltée, la plus impopulaire, la plus chimérique. Par leurs bravades téméraires et leurs fols défis, ils n’ont cessé d’attirer sur le clergé, avec les rancunes de la démocratie, les représailles des vainqueurs du jour, et, ce qui est plus grave, l’antipathie des masses, l’aversion du peuple. Auxiliaires inconsciens du radicalisme révolutionnaire, ils ont contribué de toutes leurs forces à discréditer la religion et à déchristianiser la France. Les politiques l’avaient prévu dès longtemps : « Les doctrines les plus saintes deviendront odieuses, écrivait M. Dupanloup au commencement de l’empire ; nous verrons toutes les haines, toutes les colères, tous les mépris qu’un journalisme emporté amasse contre lui se tourner contre nous. » A quoi ont-ils abouti, ces Fauteurs de l’intolérance et ces trop sincères apôtres de l’absolutisme ? « A permettre aux ennemis de l’église d’en faire, comme au temps de Tacite, l’objet de la haine du genre humain. » Ce n’est pas nous, c’est un cardinal qui l’affirme[2] ; et, si l’on regarde aux couches populaires, l’expression n’est pas trop forte.

Cette menaçante impopularité de l’église, et, avec elle, de toute religion, dans les classes qui lui doivent le plus, ne s’explique que trop aisément. Montalembert et Lacordaire avaient pour mot d’ordre le nom de liberté ; quelle devise ont choisie ceux qui les ont supplantés dans la direction des catholiques ? Ils ont pris comme cri de ralliement le mot le plus irritant pour le siècle, le plus répugnant pour le pays : contre-révolution. Sous le règne du

  1. M. de Falloux, Mélanges.
  2. Lettre du cardinal Lavigerie (1884) à l’abbé Lagrange : Vie de Monseigneur Dupanloup, t. III, introduction.