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de la fin de l’empire, ont-ils été beaucoup plus heureux ? Le libéralisme tout court, le libéralisme bourgeois de 1830, n’a-t-il pas été également déçu ? Si l’on essayait d’en dresser le bilan, d’en compter les désillusions, d’en évaluer les insuccès et les pertes, ne serait-on pas en droit de conclure que lui aussi a fait banqueroute ? Un pessimiste pourrait dire que ce qui a fait faillite, que ce qui a été ruinée ce sont les superbes espérances de la première moitié du siècle ; mais, dans la sphère des idées, à travers la manche tout à la fois lente et saccadée des sociétés, la fortune a parfois de brusques retours, et ce qui aujourd’hui semble en ruine peut demain se relever.

En attendant, malgré le Syllabus, malgré les étroites doctrines et les enseignemens surannés en honneur dans les séminaires et le clergé, il serait encore moins difficile aux catholiques de revenir à l’esprit de Montalembert et de Lacordaire, qu’à la société politique, à la démocratie, qui envahit tout, de refluer jusqu’au Guizot et aux Thiers. Le triomphe même de cette démocratie, dont les orageuses destinées ont été jadis annoncées, par La Mennais et ses amis, ne fera que donner plus de poids à leurs idées et à leur politique en en démontrant pratiquement la valeur. Tôt ou tard, il se retrouvera dans l’église des hommes pour comprendre et pour oser dire qu’ait sein de nos sociétés égalitaires, fondées sur la ruine des privilèges, il n’y a pour la religion d’autre terrain que la liberté, d’autre droit que le droit public. Les événemens, la démocratie elle-même, se chargeront de convaincre les catholiques qu’ils ne peuvent trouver d’abri durable en dehors des principes de cette société moderne, tant honnie de certains d’entre eux. La liberté apparaîtra de plus en plus comme l’unique refuge laissé aux croyances chrétiennes. Ses temples, ouverts à tous, sont les seuls qui puissent rester en possession du droit d’asile. Le malheur des catholiques qui, aux heures de détresse, viennent y chercher un refuge, est que, après l’avoir bénie et avoir embrassé, ses autels, ils n’ont pas craint de l’outrager et d’en enseigner le mépris.

Les catholiques français ont singulièrement à faire pour pendre à l’église la situation qu’elle occupait au milieu du siècle. Ils ont beaucoup à apprendre et beaucoup à faire oublier. La plupart sont loin de le sentir ; en dépit des déceptions, du passé, ils s’obstinent à demeurer enfoncés dans les obscurs fourrés de l’absolutisme. Ils n’ont pas entendu les leçons de l’histoire, ils n’ont pas su lire les signes du temps. Stimulés, par leurs victoires dans l’intérieur du sanctuaire, les ultras, les théoriciens de l’absolutisme religieux et politique se sont retournés contre la société moderne, et, par un étonnant égarement, plus elle s’écarte d’eux, plus ils se croient assurés de la ressaisir et de la dompter. La grande tempête de 1870,