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molinistes, des gallicans et des ultramontains ont été les dernières ; mais l’unité absolue, la concorde parfaite n’est pas de ce monde. L’esprit de dispute et de contention survit à la conformité des doctrines ; ou, pour ne pas être injuste, les humaines divergences d’idées et de sentimens se font jour jusque dans l’église qui a poussé le plus loin l’unité, parmi les fidèles qui acceptent le même Credo et se courbent sous la même autorité. Le terrain de la lutte a seul changé. Aux anciennes controverses dogmatiques, aux vieilles querelles théologiques, qui ne touchaient qu’indirectement la politique et la société, ont succédé des divisions d’une tout autre importance pratique. C’est sur l’attitude de l’église vis-à-vis de la société moderne que se partagent désormais les catholiques ; et ce dissentiment, il est malaisé à la papauté de le trancher, même à l’aide du glaive de l’infaillibilité. Il y a là des questions trop délicates et trop complexes pour être résolues d’autorité, et les expériences faites sous Pie IX, les controverses et les équivoques suscitées par le Syllabus ne sont pas propres à y encourager le saint-siège. Oserait-il reprendre à cet égard la tentative de Pie IX, au risque de froisser les gouvernemens ou les peuples et de faire passer les opinions politiques dans la sphère immuable du dogme ; Léon XIII, cédant à certaines sollicitations, se déciderait-il à préciser sur ce point l’enseignement de l’église, que nous reverrions probablement les mêmes discussions, ou du moins les mêmes divergences d’interprétation, que lors de l’encyclique de 1864. Pratiquement, après l’infaillibilité comme après le Syllabus, les catholiques demeurent maîtres de suivre la politique qui leur agrée ; ils sont libres de leur opinion, et cette liberté, Rome ne saurait tenter de la leur enlever.

C’est là, il est vrai, une faculté dont la plupart des catholiques ne se servent guère aujourd’hui. Dans le clergé, dans le bas clergé surtout, les idées libérales sont odieuses ou suspectes. L’esprit de réaction, fomenté dans son sein par la presse religieuse, a depuis la révolution du 4 septembre et les désillusions des dernières années pris sur lui un nouvel ascendant. A aucune époque peut-être les libéraux n’ont rencontré moins de sympathie dans ses rangs, quoiqu’il se voie contraint d’invoquer lui aussi le nom de liberté et de chercher un refuge au pied de cette profane idole. La faute en est-elle uniquement aux préventions de son éducation, étrangère au monde et isolée du siècle, aux conseils des feuilles qui, loin de l’éclairer sur une société qu’il ignore, persistent à le bercer de dangereux souvenirs et de décevantes espérances ? Non, pour n’être pas injuste, nous devons reconnaître que la faute en