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conséquence du dernier concile, et c’est là un fait que les hommes d’état ne sauraient perdre de vue : si, depuis le mois de septembre 1870, les papes, frustrés de leur ancienne souveraineté, restent humainement et politiquement désarmés, jamais dans le domaine religieux, ils ne se sont trouvés mieux équipés pour la lutte.

En dehors de là, en dehors du prestige et de l’ascendant qu’elle assure au pape, l’érection de l’infaillibilité pontificale en dogme a peu modifié la situation intérieure de l’église, et encore moins ses relations avec l’état et la société laïque. Envisage-t-on les questions débattues parmi le clergé et les fidèles avant 1870, on trouve que le concile du Vatican n’y a presque rien changé. Il n’a pas suffi de la proclamation de l’infaillibilité romaine pour mettre fin aux divisions ou aux dissentimens des catholiques.

Quant au pouvoir même du pape, devant lequel tous s’agenouillaient d’avance, le différend soulevé entre les infaillibilistes et leurs adversaires a seulement été reculé et reporté plus loin. En proclamant le souverain pontife infaillible, le concile n’a pas précisé les conditions dans lesquelles s’exerce cette infaillibilité. Le pape est infaillible en matière de foi quand il parle ex cathedra, mais quand parle-t-il ex cathedra ? C’est ce qui n’est pas nettement défini, ce qui pour l’être semblerait demander un autre concile. A cet égard, se retrouvent parmi les catholiques les deux tendances qui les divisaient avant 1870. Les uns, de tout temps jaloux de faire intervenir le Roma locuta est, sont portés à étendre démesurément la sphère de l’infaillibilité pontificale ; les autres restent enclins à la renfermer dans d’étroites limites et à en subordonner l’exercice à des conditions qui se présentent rarement[1]. En fait, aucune controverse n’a encore, croyons-nous, été tranchée par là. A en juger par les quinze dernières années, l’infaillibilité reste une souveraine prérogative dont, loin d’abuser, la sagesse pontificale semble peu disposée à faire un fréquent usage.

Aussi ne saurait-on s’étonner si le dogme promulgué en 1870 n’a pas mis un terme aux dissensions des catholiques français ou belges, si, pas plus que le Syllabus, l’infaillibilité n’a résolu la question des rapports de l’église et de la société moderne, c’est-à-dire le point sur lequel portent aujourd’hui et porteront longtemps encore les dissentimens des catholiques. Les controverses doctrinales, qui, durant des siècles, ont tenu l’église plus ou moins divisée, ont cessé. Les querelles parallèles des jansénistes et des

  1. Il est bon de noter en passant que, malgré sa défaite, la minorité du concile a obtenu, dans la définition même qu’elle combattait, certaines atténuations de forme qui ont leur importance. (Voyez l’abbé Lagrange, t. III).