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années, et qu’aucune autorité ne saurait casser ni contester. Or, si l’on regarde la sentence portée par le temps, qui marche si vite aujourd’hui, sur ces controverses déjà si loin de nous, on s’aperçoit, nous semble-t-il, qu’ainsi qu’il arrive souvent dans la chaleur du combat, les différens partis et les divers acteurs ont attaché à leurs luttes une importance outrée ; que, d’un côté et de l’autre, ils s’en exagéraient les conséquences, et qu’à tout prendre, la nouvelle définition dogmatique n’a valu à l’église ni tout ce qu’en redoutaient les uns, ni tout, ce qu’en espéraient les autres.

Est-ce à dire que toutes les appréhensions de la minorité du concile fussent vaines ? Non, assurément. En Orient, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en France même, la proclamation de l’infaillibilité personnelle du pape a été le signal, a été la cause ou le prétexte de scissions et de défections qui, pour n’avoir entraîné qu’un petit nombre de fidèles, ou mieux, d’indifférens sans foi, n’en ont pas moins été une plaie nouvelle au sein de l’église. Chose plus grave que le schisme mort-né des vieux catholiques, l’érection de l’infaillibilité pontificale en dogme a partout réveillé contre le saint-siège les défiances des peuples et des gouvernemens. L’ombre en a paru s’étendre sur la société civile, et les pouvoirs laïques en ont été offusqués. Les cours ou les états non catholiques n’ont pas été les derniers à s’en alarmer. En Allemagne et en Angleterre, on a vu deux hommes d’état, de principes et de tempérament bien différens, mais à certains égards les deux plus remarquables de leur âge et tous deux se piquant également d’être chrétiens ; l’un, défiant des innovations modernes, contempteur des assemblées et du régime parlementaire, apologiste convaincu des pouvoirs forts ; l’autre, apôtre du libéralisme et pionnier infatigable de l’ère démocratique : M. de Bismarck et M. Gladstone, exprimer publiquement par la parole ou la plume les appréhensions suscitées chez eux par le nouveau dogme. A plus forte raison en a-t-il été ainsi chez les masses populaires sur lesquelles les mots et les formules ont tant de prise. L’infaillibilité a, sous ce rapport, ravivé l’impression du Syllabus, fourni aux railleries banales et aux sarcasmes populaires un trait de plus. Elle n’a pas été étrangère à la recrudescence de haines, contre l’église, et à la campagne anticléricale qui, en Allemagne, en Suisse, en France, en Belgique, en Autriche même, a presque partout signalé la fin du long pontificat de Pie IX.

Tout cela est incontestable : sur tous ces points, l’événement a justifié les craintes de la minorité du concile, et néanmoins les promoteurs de la définition seraient en droit de soutenir qu’elle n’a pas attiré sur l’église tous les maux ou les périls qu’en redoutaient leurs adversaires. Il a suffi de quelques années pour en affaiblir singulièrement l’effet au dehors comme au dedans du sanctuaire. Les