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gallicanisme était mort, la plupart des évêques qu’on flétrissait de cette marque n’avaient jamais été gallicans ; Presque tous croyaient non moins que les infaillibilistes les plus bruyans à l’infaillibilité personnelle du pape. Ils l’avaient assez prouvé lors de la proclamation de l’immaculée conception en leur présence par Pie IX, et depuis, dans les adresses rédigées ou signées par eux lors des réunions de l’épiscopat pour la canonisation des martyrs japonais ou le centenaire de Saint-Pierre. S’ils s’effrayaient de la promulgation officielle d’un dogme auquel ils adhéraient personnellement, c’était uniquement pour l’effet que pourrait produire au dehors un pareil dogme et pour l’usage que certains catholiques en prétendaient faire. Ils sentaient que cette définition était indirectement dirigée contre eux, et contre leurs idées les plus chères ; qu’aux yeux de ses plus ardens promoteurs, c’était moins un moyen de pacification dans l’église qu’une arme de guerre contre la société moderne. On se flattait parmi les ultras que l’éclat ainsi rehaussé de la tiare se réfléchirait tout autour d’elle, au-delà même de la sphère dogmatique. Selon le mot d’un ecclésiastique français, on voulait déclarer le pape infaillible dans les matières de foi pour le faire croire infaillible dans les autres.

Ce qui faisait redouter des uns la nouvelle définition, c’était précisément ce qui la faisait souhaiter de leurs adversaires. Tandis que, avec un des prélats les plus éclairés de l’Europe[1], les uns croyaient que, de notre temps, à notre époque sceptique, l’église ne pouvait rien gagner à accroître le nombre de ses dogmes ; qu’en face des assauts de l’impiété et devant la sape du rationalisme contemporain, elle avait tout intérêt à ne pas étendre les lignes qu’elle avait à défendre ; les autres, raillant comme indignes de l’église ces préoccupations d’humaine prudence, se complaisaient à humilier l’orgueilleuse raison du siècle sous le joug d’un dogme de plus, et en apparence du plus provocant de tous les dogmes. Au scepticisme et à l’incrédulité modernes, se plaignant d’être enfermés par le catholicisme dans un champ trop étroit, ils se faisaient gloire de répondre en resserrant le cercle des croyances obligatoires et rétrécissant le domaine abandonné à la libre raison.

De même au point de vue politique. Pendant que les uns s’effrayaient de voir accentuer le contraste entre l’organisation intérieure de la société religieuse et celle de la société civile, inquiets de voir la première concentrer tous les pouvoirs en une seule main,

  1. M. de Ketteler, évêque de Mayence, lettre à M. Dupanloup, en 1869 : l’abbé Lagrange, t. III, p. 49.