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Tout le clergé, quelque plié qu’il fût au joug, quelque façonné qu’il fût aux doctrines extrêmes, ne pouvait aller jusque-là. L’épiscopat surtout ne pouvait demeurer sourd aux cris de joie que le Syllabus avait fait pousser d’un bout à l’autre du camp hostile. Aussi, de tous les coins de l’Europe et du monde, fait unique sans doute dans l’histoire ecclésiastique, plus de six cents évêques (630), ce qui équivalait à une sorte de déclaration œcuménique, adhérèrent à l’interprétation de M. Dupanloup, et parmi eux se trouvait le cardinal Pecci, le futur Léon XIII, qui, dans sa cathédrale de Pérouse, a plus d’une fois tenu un langage analogue.

Le Vatican lui-même, dans son isolement aux extrémités désertes de Rome, n’était pas assez fermé aux bruits de ce monde pour ne pas entendre un écho des retentissantes clameurs soulevées par l’encyclique Quanta cura. On ne pouvait se dissimuler autour du pape qu’en Italie, comme en France, en Belgique, en Allemagne jusqu’en Amérique, le Syllabus avait, dans tout le monde civilisé, ranimé les haines et les défiances contre l’église. La propagande anticatholique, appuyée sur les commentaires du journalisme ultramontain, y avait trouvé une arme nouvelle, un épouvantail dressé par ses adversaires même, avec un cri de guerre d’autant plus dangereux pour ceux qui l’avaient imprudemment fourni qu’il sonnait d’une manière plus étrange et était moins intelligible à la foule[1]. Les catholiques belges qui, quelques mois plus tôt, applaudissaient au congrès de Malines, les Montalembert, les Dupanloup, les Falloux, en avaient été particulièrement émus. Il semblait que de Rome on eût pris plaisir à miner derrière eux le terrain constitutionnel sur lequel ils tenaient péniblement tête à leurs adversaires. Aussi la grande revue romaine, la Civiltà cattolica, se crut-elle obligée de constater que le Syllabus et l’encyclique n’attaquaient « ni la constitution belge, ni les droits et les devoirs des citoyens belges, ni leurs légitimes libertés politiques[2]. » Cette seule déclaration de l’organe romain eût renversé tout le système des ultras. Pie IX lui-même, soit qu’il eût été surpris du tumulte soulevé par son catalogue d’erreurs, et qu’il désirât en atténuer l’effet, soit qu’il sentît simplement la nécessité de ne pas prendre au compte du saint-siège les extravagans commentaires d’une certaine presse, Pie IX adressa à l’évêque d’Orléans un bref de félicitations. Le

  1. J’en puis citer comme exemple une anecdote caractéristique. Un prêtre de ma connaissance, passant en 1872 ou 1873 sur une des avenues de Versailles, entendit un ouvrier dire derrière lui à un autre : « Tu disais qu’il n’en restait plus de Syllabus ? Eh bien, en voilà un qui se promène. »
  2. « L’enciclica non offende punto la costituzione belga nè i diritti e i doveri dè citadini di colà ne le legitime loro libertà, politiche. » (Civiltà cattolica, février 1865.)