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vues de l’église était plus profond ; aucun ecclésiastique n’eût pu le nier ; mais, tout en le reconnaissant en principe, un catholique pouvait en restreindre les conséquences pratiques, et représenter qu’en fait cette divergence de vues n’avait pas dans l’application l’importance que lui attribuaient les ennemis de l’église ou ses imprudens amis. C’est ce que faisait l’évêque d’Orléans, déclarant que, si elle ne pouvait admettre la liberté des cultes comme un droit primordial, antérieur, absolu, la papauté l’admettait comme un droit politique fondé sur un fait ; rappelant que le saint-siège ne condamne pas les constitutions où cette liberté est inscrite ; disant seulement que l’église garde un autre idéal et qu’il ne faut pas lui demander « de transformer en vérités absolues des nécessités relatives. » Nous touchons ici à ce qui est le caractère propre du Syllabus et de tous les actes pontificaux du même genre. Pour les apprécier, il ne faut pas oublier que ce sont avant tout des déclarations de principes, visant les doctrines plutôt que leur application, « la thèse et non l’hypothèse, » les systèmes philosophiques ou politiques et non les législations ou les constitutions existantes[1]. Les papes et les théologiens qui émettent ces principes raisonnent en quelque sorte dans l’abstrait, pour une société ayant conservé l’unité de foi et filialement soumise à l’autorité pontificale. Ils font à leur manière, si j’ose ainsi parler, leur île d’Utopie, leur Salente, ou leur République de Platon, exposant, d’après leurs maximes, les lois d’une société parfaite, sans se préoccuper des nécessités contingentes et des réalités actuelles, ce qui ne les empêche nullement d’en tenir compte dans la pratique, de s’y accommoder et de se faire aux circonstances. Quand les règles idéales ainsi posées seraient en contradiction manifeste avec les principes de notre droit public, y aurait-il là de quoi alarmer sérieusement les gouvernemens et les peuples modernes ? Non, en France du moins, car chez nous, les fanatiques ou les illuminés, qui rêvent de construire sur la terre une sorte de copie de la Jérusalem céleste, sont les seuls à voir en de telles maximes une règle de conduite applicable à notre temps et à notre état social. Les autres, non-seulement les catholiques qui, au contact du siècle, se sont plus ou moins entachés d’idées libérales, mais tous ceux qui ont quelque esprit politique ou quelque sens pratique sentent la folie de pareils songes et prennent à tâche de s’en disculper. Ils s’efforcent de rassurer les princes et les peuples en leur rappelant

  1. C’est ce que, en dehors des interprètes ecclésiastiques du Syllabus, a parfaitement mis en lumière M. Émile Olilvier : l’Église et l’État au concile du Vatican, t. II, p. 373, 374.