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évêques[1]. » Le laïcisme, ainsi dévoilé par une bouche épiscopale, régnait en maître sur la portion la plus nombreuse du clergé, et ce qui navrait l’âme des évêques et des pasteurs les plus clairvoyans, c’est que, à l’inverse de ce qu’on aurait pu croire, cet ascendant des laïques s’exerçait toujours dans le sens le plus opposé à l’esprit de la société laïque, dans le sens le plus étroit, le plus outré ; c’est que toute leur politique n’était qu’une sorte d’anachronisme fait pour scandaliser les peuples et effaroucher le siècle. Malgré les protestations de l’évêque d’Orléans et les plaintes éloquentes de Montalembert contre les modernes inquisiteurs, un journal n’en continuait pas moins à s’établir en face des évêques et du saint-siège comme le défenseur de la foi et le censeur de l’épiscopat. Et ce rôle dénoncé par M. Dupanloup comme contraire à l’esprit et aux règles de l’église, comme attentatoire à l’ordre hiérarchique, ce journal le remplissait avec une superbe assurance, se réservant le monopole de l’orthodoxie, traçant à son gré autour des consciences fascinées le cercle hors duquel il n’y a plus de catholiques, « tranchant précipitamment, témérairement, violemment toutes les questions religieuses, et, quand une fois il les avait tranchées, ne tolérant aucune dissidence, de quelque part et de quelque haut qu’elle vînt. » Tous ceux qui n’acceptaient pas docilement ses oracles se transformaient pour lui en ennemis de l’église ou de la papauté, en mécréans, en hérétiques. Ainsi en fut-il de ses anciens amis les catholiques libéraux, devenus les plus odieux de ses adversaires[2].

Selon ses procédés habituels, V Univers chercha à transporter le différend du terrain politique, où il avait pris naissance, sur le terrain religieux, où les ultras espéraient avoir définitivement raison des libéraux, se flattant, après les avoir rendus suspects à Rome, de leur faire clore la bouche par la suprême autorité ecclésiastique. Pendant que les uns, demeurés fidèles aux croyances de leur jeunesse, persistaient, en dépit de la banqueroute de leurs espérances, à maintenir la compatibilité de la foi et des libertés publiques, les autres érigeaient hardiment leur incompatibilité en dogme, faisant du libéralisme une révolte contre l’église et l’enseignement du Christ. L’orthodoxie des Montalembert, des Lacordaire, des Dupanloup même,

  1. L’abbé Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 130.
  2. Il est à remarquer que les défiances de M. Dupanloup et de ses amis pour l’Univers et le journalisme étaient bien antérieures à leur rupture avec M. Veuillot. Dès 1844 et 1845, alors qu’il ne s’était encore manifesté entre eux aucune divergence de principes, les chefs du parti catholique, inquiets des procédés de l’Univers, avaient essayé de le placer sous la surveillance d’un comité ayant à sa tête M. Dupanloup. Le plan avait échoué devant les résistances du directeur du journal.