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remarquer avec un juste orgueil le capitaine Barras de La Penne, sur les galères du pape. Quant aux chapelains français, tout nous fait supposer qu’ils furent vraiment dignes de ce grand clergé de France qui, à toutes les époques de l’histoire, s’est fait une place à part dans la société ecclésiastique par son zèle éclairé non moins que par ses vertus. Qui trouvons-nous, en effet, à la tête de l’aumônerie française, dès le 1er septembre de l’année 1645 ? Un saint, le plus sympathique et le plus aimable des saints : « M. Vincent de Paul, bachelier en théologie. » L’état au vrai de la marine du Levant lui alloue, en sa qualité « d’aumônier réal, » et « pour avoir égard à sa supériorité sur tous les aumôniers des galères, » la somme de 600 livres. Voilà bien le chapelain qui pouvait, suivant le vœu du capitaine Pantero Pantera, « inspirer par ses exemples aux pécheurs l’horreur du péché, » peut-être même, qui sait ? faire pénétrer quelque chose de sa douce mansuétude dans l’âme de l’argousin.

Nous avons eu aussi dans la marine à voiles nos temps de discipline brutale et de châtimens corporels ; néanmoins on ne saurait établir sous ce rapport aucune comparaison entre le vaisseau rond et la galère. Ce sont deux mondes séparés par un abîme. Quand nous raconterons les grands combats livrés par la marine à rames, on devra toujours avoir présent à l’esprit ce pont chargé de malheureux qui, au milieu des horreurs de l’action, se débattent dans leurs chaînes et n’ont pas même la consolation de pouvoir se réjouir de la victoire, car la victoire ne changera rien à leur sort. La défaite leur serait plus utile ; elle a souvent rendu la liberté aux chiourmes de l’escadre vaincue et fut plus d’une fois en partie leur ouvrage, À Lépante, les esclaves chrétiens, voyant l’aile droite de la flotte turque mise en déroute par les galères alliées, se démenèrent tellement qu’ils finirent par briser leurs chaînes et leurs menottes. Ils prirent alors, avec une fureur incroyable, les Turcs à dos et contribuèrent dans une certaine mesure au triomphe des armes de la sainte ligue.

Du XVe au XVIIIe siècle, les drames de la mer ont, comme le drame antique, des acteurs spécialement chargés de tenir les grands rôles et un chœur qui ne prend point de part directe à l’action : les imprécations de ce chœur me gâtent un peu la marine du bon vieux temps.


JURIEN DE LA GRAVIERE.