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scrupule, trouvait dans le grand journaliste ultramontain un athlète trop redoutable, une plume trop faite à la guerre, un instrument trop sûr pour le briser ou le désavouer. Rome est du reste peu pressée d’intervenir dans les querelles de ses enfans, elle n’aime pas à trancher d’autorité les discussions qui se livrent autour d’elle. Qu’on se rappelle la première grande feuille ultramontaine : l’Avenir. En dépit de toutes ses témérités de forme et de pensées, malgré l’antipathie générale du haut clergé, La Mennais n’eût pas été condamné s’il n’eût lui-même exigé un jugement du pape.

Quoi qu’il en soit, la domination d’un journal dans l’église, à l’heure même qu’elle affichait officiellement le plus de dédain ou de méfiance de la presse, restera l’un des spectacles les plus singuliers de l’histoire religieuse du siècle. La plus grande partie de l’épiscopat en était attristée, M. Dupanloup surtout, qui, avec son tempérament de lutteur, sentait mieux que personne la puissance de la presse dans le monde moderne. Il craignait qu’avec des journaux dirigés par des laïques, la direction des affaires ecclésiastiques ne risquât de se déplacer et d’échapper aux chefs naturels de l’église, de manière à ce qu’on vît chez elle la queue mener la tête. Aussi l’un de ses projets favoris, durant toute sa vie, avant 1848 comme après 1870, fut-il d’avoir à sa disposition un organe quotidien, vœu qu’il put réaliser durant quelques années, avec l’Ami de la religion en 1848, avec la Défense plus tard. Mais, si précieux que soit pour le clergé un pareil instrument, la possession n’en est pas sans dangers. Il y a là de toute façon pour l’église une sérieuse difficulté pratique. Aux mains des laïques, la presse religieuse menace de subalterniser le clergé et les évêques ; aux mains des chefs de la hiérarchie, rédigé par des plumes épiscopales ou ecclésiastiques, un journal présente des inconvéniens d’un autre genre et souvent non moindres. Toujours est-il que, durant sa longue guerre avec l’Univers, l’évêque d’Orléans se vit le plus souvent réduit pour toute arme aux brochures, aux revues, aux mandemens, aux lettres à son clergé. C’était là un duel inégal où, faute de pouvoir porter les derniers coups, la victoire devait rester au journaliste.

En vain, dans un mandement de 1852, l’évêque demandait-il publiquement « si quelques laïques, abusant de la puissance que leur donnait un journal, pouvaient dans l’église, chaque matin, parler de tout et à tous, décider à temps et à contretemps, prendre dans les plus graves questions de doctrines et de conduite l’initiative du jugement, de la décision, de la condamnation ; si, lorsqu’un évêque donne à ses prêtres des instructions pour les éclairer et les diriger, il serait permis à l’Univers de venir se mettre entre l’évêque et ses prêtres pour enseigner les prêtres après et contre leurs