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rallié, lui aussi, au coup d’état ; ce fut la tache et le remords de sa vie. Lui qui, dès sa jeunesse, s’était fait gloire d’être l’amant de la liberté, il avait, depuis les journées de juin, devant les excès commis en son nom, oublié que, selon la belle image empruntée à l’Arioste par Macaulay, celui qui adore vraiment la liberté doit savoir lui garder sa foi sous quelque déguisement qu’elle se présente. Lorsque celle qu’il s’était habitué à vénérer comme une fée bienfaisante lui avait apparu sous la forme d’un serpent, il l’avait reniée et l’avait laissé écraser. Ce jour-là, Montalembert, pourrait-on dire, avait montré le côté faible des libéraux catholiques et, par malheur aussi, de bien d’autres, car le crime le moins pardonnable de l’anarchie, c’est, en la défigurant, de rendre la liberté odieuse. L’amour de Montalembert pour elle n’allait pas sans une certaine dose d’illusion, et il avait eu peine à lui pardonner ses déceptions, a Les rois sont remontés sur leurs trônes, s’écriait-il avec amertume le 19 octobre 1849 ; la liberté n’est pas remontée sur le sien, elle n’est pas remontée sur le trône qu’elle avait dans nos cœurs. »

Cette défaillance ne fut pas de longue durée ; quelques jours de dictature suffirent à le désabuser. Avant même que l’empire fût officiellement rétabli, Montalembert protestait avec une fougue indignée contre l’avilissement des doctrines hardiment servîtes qui, au nom de l’évangile, prétendaient vouer la France à l’absolutisme. S’il avait paru lui-même admettre le renversement de la tribune, ce n’était, affirmait-il, que comme une punition temporaire des fautes passées, comme une courte diète de malade, jamais comme un régime normal et définitif. Aussi mettait-il, dès 1852, une sorte de passion à flétrir ce qu’il appelait l’éphémère coalition du corps de garde et de la sacristie, et, d’une plume brûlante comme un fer rouge, il marquait sans pitié le front de ces pontifes de la force, de ces chantres du succès qui, après s’être prosternés devant la démocratie de 1848, avaient déjà rallumé leurs encensoirs pour de nouvelles idoles[1].

La présidence décennale avait laissé Montalembert entrer au corps législatif, l’empire restauré l’y poursuivait bientôt devant ses tribunaux pour lui en fermer la porte aux premières élections. L’orateur catholique ne pouvait avoir de place sous un régime qui s’annonçait comme le règne du silence. Si sa voix retentit encore en dehors d’une assemblée dont les murs étaient calfeutrés de façon à ce qu’aucun écho n’en arrivât au public, ce fut à l’étranger, à Matines. Pendant que Montalembert descendait de la tribune pour n’y plus remonter, le compagnon de ses premières luttes,

  1. Des Intérêts catholiques au XIXe siècle, 1852.