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I

Dès le lendemain de la scission, les divergences entre ces frères ennemis s’accentuèrent sur le terrain scolaire et politique pour bientôt s’étendre au domaine religieux. Une fois émancipé de la tutelle des politiques, l’esprit excessif et intolérant de la presse catholique se donna partout carrière. A peine l’Univers avait-il, sur l’injonction de Rome, suspendu sa campagne contre la loi de 1850, qu’il en entreprenait une autre contre l’enseignement classique et les auteurs païens. C’était une manière détournée de revenir, malgré l’intervention du nonce, sur la loi de l’enseignement, qui reconnaissait au gouvernement le droit de fixer les programmes. Dans sa répulsion pour la libre antiquité grecque et romaine, la feuille ultramontaine semblait vouloir proscrire tout ce qui n’était pas de l’Écriture et des pères, de même que le calife Omar condamnait au feu tout ce qui n’était pas le Coran. Les Grecs et les Latins ont de tout temps été suspects aux ennemis de la liberté ; l’Univers les accusait de corrompre le cœur aussi bien que l’esprit de la jeunesse. A l’entendre, Homère et Virgile n’étaient bons qu’à paganiser les générations chrétiennes. C’était toucher à l’un des points sensibles l’évêque d’Orléans, qui prenait plaisir à faire jouer par les élèves de son petit séminaire Sophocle en grec. En vain ce défenseur des classiques se retranchait-il derrière l’autorité de saint Basile et des pères de l’église ; en vain rappelait-il que les humanités avaient été l’honneur du clergé français et des congrégations enseignantes. Pour mettre fin à cette controverse, il ne fallut rien moins qu’une nouvelle intervention de la nonciature. Dans l’intervalle, tout le clergé en avait été ému. La question se liait à la direction des séminaires, et la presse catholique avait pour la première fois laissé percer la prétention de régenter l’épiscopat. L’église n’était pas encore accoutumée à de pareilles façons ; M. Dupanloup avait lancé un mandement contre l’Univers et quarante-six évêques avaient signé une déclaration portant que les actes épiscopaux n’étaient pas justiciables des journaux. Quinze ans plus tard, on n’eût pas rencontré une telle hardiesse dans l’épiscopat.

C’était de la politique qu’étaient nés les dissentimens des catholiques, c’était dans la politique surtout qu’ils devaient se manifester et s’envenimer. Le coup d’état de 1851 et la constitution de 1852 avaient consommé la scission. Le principal organe catholique, qui, selon le mot d’un de ses adversaires, changeait de drapeau sans changer de caractère, avait tour à tour été orléaniste, républicain, fusioniste, bonapartiste, se montrant disposé à soutenir