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le navire en bagne flottant. Toute galère bien armée doit posséder trois tentes : une tente d’herbage, c’est-à-dire de laine brune, pour l’hiver ; deux tentes de cotonnine double, l’une blanche et l’autre blanche et bleue. Quand la tente d’hiver est dressée, on bouche soigneusement avec de l’étoupe les dalots du pont et on ferme les deux entrées, à poupe et à proue, avec des portes d’herbage. Le froid, malgré ces précautions, devient-il excessif, on allume à l’intérieur plusieurs brasiers. Il faut, naturellement, prendre soin d’éclairer cette caverne pendant la nuit : des fanaux sont suspendus sous la tente, de l’avant à l’arrière. On les allume tous en même temps, et ils doivent brûler sans interruption jusqu’au jour.

Ce fut assurément une triste invention que celle qui introduisit les chiourmes enchaînées à bord de la galère. Tant qu’on n’y admit que des hommes libres, la propreté, la discipline, la vogue, tout demeura facile. En 1420, le général des galères de Venise, Pietro Mocenigo, n’avait besoin que de quelques lignes pour rédiger un code qui répondît aux moindres exigences du service : « L’ordre et la règle, disait le général vénitien, sont le principe et la fin de toute chose ; l’absence de discipline est la source de tout mal : quiconque n’obéira pas, l’amiral devra l’éventrer. Si un homme faisant partie de l’équipage blasphème Dieu ou sa mère, les saints ou les saintes, il sera fouetté de la poupe à la proue ; s’il est homme de poupe, il paiera cent sous. » La galère ne renfermait pas alors dans son sein, comme aux temps du capitaine Pantero Pantera et du capitaine Barras de La Penne, un ennemi intérieur. Avec des chiourmes enchaînées il faut se tenir constamment en garde contre quelque soulèvement : les soldats et les marins placés à la poupe et à la proue ont toujours leurs armes à portée ; au premier signe de rébellion, ils frappent sans merci et mettent à mort les forçats qui tentent de s’insurger. « Dans la chaleur du combat, nous dit le capitaine des galères du pape, le soulèvement de la chiourme peut tout perdre. Aussi est-il indispensable d’établir une place d’armes à la hauteur de l’arbre de mestre. La répression sera, de cette façon, plus facile et la surveillance mieux assurée. » La surveillance même ne suffit pas : ayez soin d’avoir dans la chiourme de bons espions. « Ne vous fiez jamais aux esclaves, ajoute le prudent capitaine ; ces gens-là n’ont d’autre pensée que de recouvrer leur liberté. Quand des capitaines viendront vous dire qu’avec un regard de travers, ils leur feront mettre la tête sous les bancs ; qu’en privant de la vie un ou deux forçats, ils tiendront aisément les autres en bride, ne les croyez pas ! Pareille opinion ne saurait appartenir qu’à des esprits frivoles ; on a eu trop de preuves du contraire. Faites donc souvent la visite des sacs pour vous assurer