libres, il a pris le nom de capitaine d’armes. « Il faut, nous apprend le capitaine Pantero Pantera, que l’argousin soit rigoureux sans doute ; il serait essentiel qu’il fût désintéressé ; sa cupidité ne le porte que trop souvent à maltraiter la chiourme. Pour leur extorquer de l’argent, il battra les forçats, les accablera de travail, les chargera d’une double chaîne sans motif. Il a fort à faire avec de pareilles gens, je le reconnais, et sa tâche est parfois des plus rebutantes. C’est lui qui, tous les soirs, doit visiter les chaînes, les manilles et faire changer celles qui lui semblent suspectes ; c’est lui aussi qui fait raser la chiourme, afin qu’elle soit plus propre et ait meilleur aspect. »
Préserver la chiourme de la vermine est le premier soin qu’on doit prendre si l’on veut éviter les épidémies. Lorsqu’on met la galère sur le côté pour en frotter la carène avec des balais, on ordonne aux forçats « de se laver les jambes, les bras, et de se décrasser tout le corps. » Le dimanche, on les fait changer de chemise et de caleçon ; le lundi, chaque fois qu’on est au port, on procède au lavage du linge en le faisant tremper deux ou trois heures dans la mer. Nos matelots lavent aujourd’hui leur linge deux fois par semaine : il ne leur est pas toujours accordé le luxe de le laver à l’eau douce.
Le costume du forçat n’a guère varié depuis trois siècles, et son bagage fut, de tout temps, fort modeste : en été, deux chemises et deux pantalons de toile, avec un bonnet de drap rouge et une camisole de même étoffe qui lui descend jusqu’aux genoux ; en hiver, un pantalon et un caban de laine brune. Ce caban enveloppe le forçat jusqu’aux pieds. Les buonevoglie seuls reçoivent des bas et des souliers ; ils ne les portent, il est vrai, qu’à terre : à bord, ils restent, comme les autres galériens, les jambes nues. On distribue, en outre, deux couvertures de laine par banc aussitôt que la température devient trop rigoureuse. Le froid n’est-il pas le plus implacable ennemi de la chiourme ? Les soldats et les matelots peuvent au moins bouger ; le forçat est rivé à son banc. Les arquebusades, le vent et la pluie font moins de victimes, abord de la galère, que l’excès du froid. La flotte vénitienne, commandée par Giovanni Soranzo, avait vaincu les Génois dans la Mer-Noire ; elle venait de leur enlever, en Crimée, la ville de Théodosie, que nous appelons aujourd’hui Caffa : Soranzo eut l’imprudence de vouloir hiverner dans ces parages ; ses vaisseaux se trouvèrent en quelques jours complètement désarmés. Le vent du nord, dont nous éprouvâmes nous-mêmes les effets sur le plateau de la Chersonèse, n’exerça pas moins de ravages à Caffa. Beaucoup de galériens succombèrent : la plupart de ceux qui survécurent eurent les mains ou les pieds gelés.
La chiourme, cependant, ne reste pas tout à fait sans abri quand on est au mouillage : une lente, soutenue par vingt-six espars, convertit