remarquée qu’elle était une innovation. Chez Homère, les Grecs ne diffèrent en rien des Troyens, et ils se ressemblent tout à fait entre eux. Le célèbre catalogue du second livre de l’Iliade ne contient guère que des noms propres, avec quelques épithètes générales, Cette longue énumération des peuples qui ont pris part à la guerre de Troie est par elle-même d’un intérêt médiocre. Ce qui fit son importance, c’est que, plus tard, les cités grecques regardèrent comme un titre de noblesse d’y figurer ; mais aucune d’elles n’y paraît différente des autres. Virgile aussi, lorsqu’il plaçait, à la fin du VIIe livre de l’Enéide, une liste des nations italiennes alliées de Turnus, voulait surtout glorifier leur passé et leur donner une antiquité qui leur fit honneur ; mais il ne se contente pas de les énumérer sèchement ; il ajoute à leur nom quelques souvenirs de leur histoire, des renseignemens curieux sur leurs usages, des descriptions de leurs costumes et de leurs armes. Il nous montre, par exemple, les Volsques, les Herniques, les gens de Préneste et d’Anagnia, qui portent une peau de loup sur la tête et qui marchent au combat un pied nu et l’autre couvert d’une chaussure de cuir ; les Falisques et les montagnards du Soracte, qui s’avancent en chantant les louanges de leur roi Messapus, le dompteur de chevaux ; les Marses, dont le chef est un prêtre qui connaît l’art de charmer les serpens ; les Osques, les Auronces, les Sidicins, armés d’un javelot court, qu’ils lancent avec une courroie, et d’une épée recourbée ; les habitans de Caprée, d’Abella, ceux des rives du Sarnus, coiffés de casques de liège et tenant à la main de longues piques dont ils se servent à la manière des Teutons. Tous ces détails d’histoire pittoresque, dont on n’avait pas encore abusé, devaient causer un très vif plaisir aux contemporains de Virgile. Aussi le regardaient-ils comme un grand archéologue et un grand antiquaire ; mais nous sommes devenus plus exigeans aujourd’hui. On nous a gâtés en nous prodiguant ces sortes de peintures, et nous n’en avons jamais assez. Au lieu de lui savoir gré de ce qu’il a fait, beaucoup sont tentés de trouver qu’il s’est arrêté trop tôt ; il leur semble que les diverses nations italiques ne sont pas dépeintes chez lui en traits assez marqués et assez distincts ; ils lui en veulent surtout de n’avoir pas tiré plus de profit des Étrusques : il en parle encore moins que des Latins. Si l’on excepte un mot qu’il dit en passant sur le goût qu’ils avaient pour les costumes voyans et les armes éclatantes, il ne met vraiment en saillie qu’un côté de leur caractère, leur passion pour les plaisirs de la table et de l’amour. Au milieu d’une bataille, leur chef, Tarchon, qui les voit se sauver devant Camille, leur reproche leur lâcheté en termes amers : « C’est pour Vénus, leur dit-il, et pour ses combats nocturnes que vous gardez votre courage. Vous mêler aux danses de Bacchus quand la
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