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sincérité, de laisser à la raison publique, au bon sens d’une nation, le temps et les moyens de résoudre sans violence les questions les plus périlleuses ou les plus délicates. On le voit bien en ce moment même en Angleterre ; on le voit peut-être aussi en Belgique, dans ce petit pays, dont notre commission du Tonkin, qui pourtant était déjà assez embrouillée avec ses interrogatoires et ses secrets, a jugé utile de prononcer le nom. Par quelle bizarrerie, dans une commission réunie pour traiter une question toute française, a-t-on cru devoir s’occuper de la Belgique, même de la Hollande, et s’informer curieusement de ce qui aurait été dit à Skierniewice, de ce qui aurait été résolu dans le cas où une révolution aurait éclaté à Bruxelles ? C’est là ce qui peut sembler au moins hors de propos. Sans doute, depuis quelques mois, la Belgique a eu d’assez graves agitations ; elle a été troublée par des scènes passionnées et malheureuses, par des élections ardemment disputées et de violens conflits de partis, même par des mouvemens populaires qui auraient pu n’être pas sans danger ; mais de ces émotions à une menace de révolution il y a loin, on en conviendra, et ce n’est point apparemment parce qu’il y a eu des manifestations plus ou moins bruyantes, des processions libérales ou catholiques à Bruxelles qu’on se serait entendu à Skierniewice pour ressusciter une espèce de sainte-alliance préventive. La Belgique n’en est point heureusement à courir les aventures et à donner des soucis à la diplomatie, qui a des affaires plus pressantes. En réalité, les luttes des partis belges, sans cesser d’être vives, sembleraient plutôt tendre à s’apaiser, ou du moins à reprendre un caractère plus régulier. Catholiques et libéraux, gouvernement et opposition sont toujours aux prises, mais sans le dangereux accompagnement des agitations de la rue, des manifestations tumultueuses, et les modifications ministérielles qui se sont accomplies à la suite des dernières élections communales du 19 octobre ont évidemment contribué d’une certaine façon à cette détente momentanée dans une situation devenue difficile.

Le cabinet dont M. Beernaert est resté le chef à la place de M. Malou, et où M. Thonissen est entré comme ministre de l’intérieur à la place de M. Jacobs, le principal auteur de la nouvelle loi scolaire, ce cabinet ne s’est pas formé sans doute pour changer brusquement de politique. Il cherche et il trouve toujours son appui dans la majorité catholique envoyée par les dernières élections législatives aux deux chambres ; mais par son origine même, par cela seul que son avènement a coïncidé avec la retraite de deux des hommes les plus engagés dans la lutte des partis, il représente presque forcément un certain apaisement, une idée de trêve après une crise violente. Il est venu pour tempérer, par une application modérée, ce qui a pu paraître excessif dans la dernière loi scolaire, pour adoucir un conflit. C’est son caractère ; c’est peut-être aussi sa faiblesse, puisque par cela même il se trouve entre