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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre.

Non, il ne s’agit pas du tout de se laisser aller à un pessimisme stérile et de désespérer, ne fût-ce qu’un instant, de la fortune de la France ; ce serait peu digne d’une vieille race qui s’est souvent égarée dans son chemin et qui a toujours fini par se retrouver. Il s’agit de voir les choses comme elles sont et la vérité comme elle est, de ne pas se prêter aux illusions et aux obstinations intéressées ou vaniteuses des satisfaits qui ne voient plus rien dès qu’ils sont au pouvoir. Il s’agit de dire ce qui frappe tous les yeux, de saisir dans ses causes, dans ses effets, un mal qui n’a jamais sans doute rien d’irréparable avec un pays généreusement doué, qui peut cependant devenir assez grave pour éprouver et affaiblir la plus robuste constitution.

Le mal d’aujourd’hui, ce n’est pas qu’il y ait eu depuis quelques années des erreurs et des fautes, des méprises de gouvernement ou des abus de domination. Tous les gouvernemens et tous les régimes ont leurs imprévoyances ou leurs emportemens d’un jour. Tout n’est pas perdu parce qu’il y a des abus d’administration, un déficit dans le budget ou quelque entreprise légèrement conçue, médiocrement conduite. Ce qu’il y a de dangereux aujourd’hui, c’est que les erreurs et les fautes qui ont été accumulées depuis quelques années tiennent à tout un ensemble d’idées fausses, de passions et de préjugés de parti érigés en système de gouvernement. Les faits plus ou moins pénibles, plus ou moins crians, ne seraient rien ; ce sont les idées fausses qui sont le grand mal, et si la crise où le pays est engagé a une si douloureuse et si frappante gravité, c’est qu’on sent bien qu’il y a dans tout cela quelque chose de plus qu’une épreuve fortuite, qu’il y a un système qui porte ses fruits. Soit inexpérience, soit entraînement