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Et notre roi n’est pas un monarque en peinture ;
Il sait faire obéir les plus grands de l’état,
Et je trouve qu’il fait un digne potentat ;


déduit cette conséquence que « Molière était prophète » ou « qu’il en savait bien long dans les secrets du roi. » En effet, personne aujourd’hui n’ignore que Louis XIV confiait à Molière les plus importantes résolutions d’état, et qu’après d’Artagnan, c’est à l’auteur de Sganarelle qu’il avait communiqué son dessein d’arrêter Fouquet. C’est encore Edouard Fournier qui, dans Amphitryon , a découvert « en termes admirablement voilés, et confits dans le venin le mieux distillé du monde, la plus amère satire qu’il fût possible de faire contre Louis XIV-Jupiter, ce roi à bonnes fortunes, cet olympique séducteur. » Il n’oublie seulement qu’un point : à savoir qu’il ne peut être question « d’olympique séducteur, » ou de « roi à bonnes fortunes, » que si la faveur de Mme de Montespan a éclaté publiquement, et qu’il vient lui-même d’employer la moitié de son encre à démontrer préalablement le contraire. Mais je n’en finirais pas si je voulais relever tout ce qu’il y a de paradoxes en l’air ou d’erreurs trop certaines dans ce mince volume.

Il ne me reste donc plus qu’à dire quelques mots de M. Paul Lacroix, qui a « revu et mis en ordre » les Études d’Edouard Fournier. Que ce bibliophile ait « mis quelque chose en ordre, » c’est ce que trouveront ici de plus invraisemblable ceux qui, comme nous, ont feuilleté seulement quelques-uns de ses nombreux ouvrages. C’est, en effet, le désordre qu’il excellait à introduire dans tout ce qu’il touchait, et jusque dans les papiers de la bibliothèque de l’Arsenal, dont il avait la garde. Il convient, d’ailleurs, de ne pas oublier que, contemporain des plus beaux jours du romantisme, il avait, aussi lui, débuté dans la critique par ce genre que l’on pourrait appeler la mystification littéraire, et dont le Théâtre de Clara Gazul est demeuré le chef-d’œuvre. Un seul fait entre cent autres donnera l’idée de la judiciaire de ce grand moliériste. Il y a quatre ou cinq ans qu’ayant déterré dans un manuscrit de l’Arsenal une Notice sur Molière , dont l’auteur faisait naître Molière en 1620, au lieu de 1622, et le faisait mourir, au lieu de 1673, en 1672, Paul Lacroix en concluait que, ces deux dates étant fausses, une troisième, que donne la Notice , comme étant celle des débuts de Molière au théâtre, devait, sans aucun doute, être bonne. Et le Moliériste enregistrait pieusement la découverte, avec les commentaires du « savant » bibliophile.

Grâce à cette sûreté de logique et par un effet naturel de cette force de raisonnement, ayant commencé de bonne heure à s’occuper de Molière, Paul Lacroix a fait la fortune de quelques-unes des pires