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finit par apprendre l’indigne usage que le roi très chrétien, son allié, faisait des privilèges dont les Français, depuis le temps de François Ier, jouissaient dans l’empire ottoman. Il prit fort mal la chose, et M. le marquis de Villeneuve, qui se trouvait alors ambassadeur de France à Constantinople, fut menacé par le grand-vizir d’être envoyé aux Sept-Tours. Il fallut pour pacifier le sultan que le roi s’engageât à donner la liberté à tous les Turcs « qui étaient de la dépendance de la Porte. » On n’acheta plus, à partir de ce moment, sur le marché de Constantinople, que des Russes ; on se pourvut ailleurs de nègres de Guinée, d’Iroquois ou de Barbaresques. Le consul de Malaga envoya, en 1751, à Toulon onze Candiotes : les Candiotes étaient pourtant sujets de la république de Venise.

Le sultan se souciait peu du sort des Barbaresques ; malheureusement les Barbaresques étaient loin de valoir les Turcs. Nos capitaines les tenaient généralement, s’il faut croire un document conservé dans nos archives, « pour les plus grands fripons de l’univers. » Or la friponnerie était un vice particulièrement odieux à bord des galères, car elle nuisait à la cordialité des rapports entre les divers bancs de la chiourme. « Il serait de toute nécessité, écrivait le capitaine Barras de La Penne, de continuer à punir de la bastonnade le vol qui a lieu de camarade à camarade ; c’est ainsi qu’on maintiendra la franchise entre les forçats. La confiance mutuelle était autrefois si grande que la plupart des galériens laissaient leur argent sur les fonds des barils à eau. » Le capitaine Pantero Pantera portait un siècle plus tôt le même jugement sur les futurs sujets de l’Afrique française : « Les Barbaresques, dit-il, sont tellement arrogans, de caractère bestial, traîtres, séditieux, qu’il les faut surveiller de près : ils sont gens à pousser les choses jusqu’à tuer leurs maîtres. » Sans être aussi sévère sur le compte des Barbaresques que le capitaine Pantero Pantera ou le capitaine Barras de La Penne, je suis forcé d’avouer que les mousses algériens qui furent embarqués sur l’escadre de la Méditerranée pendant que je la commandais, se montrèrent sous plus d’un rapport, notamment sous le rapport de la propreté, de la docilité et de la droiture, bien inférieurs aux mousses cochinchinois qui faisaient en même temps qu’eux leur apprentissage de marins sur nos vaisseaux.

On ne trouvait pas seulement des Barbaresques sur les brigantins, les fustes, les galiotes, les galères de course dont nos capitaines parvenaient quelquefois à s’emparer, on y rencontrait aussi des Maures. Les Maures étaient les esclaves de choix du capitaine Pantero Pantera : « Nous les avons tout rompus, dit-il, aux souffrances de la mer et à la fatigue de la rame. Les Turcs sont sans doute plus doux et plus dociles ; nous ne saurions tirer d’eux le même parti. Quand nous les prenons à terre ou sur des bâtimens à