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Son fils a été plus heureux Sans quelques-unes de ses réformes. Il a fait venir d’Europe des officiers instructeurs ; il a autorisé quelques capitalistes anglais à fouiller l’atlas pour y découvrir du charbon, et on assure que celui qui a vu Tanger il y a vingt ans ne le reconnaît plus. Il caresse d’autres projets encore ; mais, tour à tour audacieux ou timide, après avoir avancé, il recule. Ses inquiétudes, ses terreurs paralysent ses bonnes intentions. Il se défie des Intrigues de cour, plus encore des intrigues de harem. N’a-t-on pas essayé une fois déjà de l’empoisonner ? Personne n’est plus dépendant qu’un monarque absolu quand il n’a pas de génie ; c’est une consolation pour ceux des souverains de l’Europe qui ont des difficultés avec leur parlement.

Muley-Hassan, fils de Sidi Mohammed, est d’autant plus tenu de respecter les préjugés de ses sujets qu’il y a dans ses vastes états beaucoup de mécontens. S’il pactisait trop avec les puissances étrangères, on lui rappellerait peut-être qu’il est lui-même un étranger, que la dynastie aujourd’hui régnante des Filali est originaire de l’oasis de Tafilalet, royaume jadis indépendant, et qu’elle a usurpé le trône sur ses légitimes possesseurs. Le docteur Lenz assure que le sultan évite de se rendre à Miknâs parce qu’il ne pourrait se promener dans les environs sans y rencontrer des ennemis de sa famille, qui chauds partisans de l’antique maison des Idrid, contestent à l’usurpateur jusqu’au droit de se proclamer chérif. Les prétendans au trône du Maroc sont nombreux. Le plus inoffensif de tous était ce pauvre Abdallah-Ben-Ali, lequel venait de mourir à Tanger quand le voyageur allemand y passa. Dans son beau temps, il marchait en grand appareil, escorté de sa femme, de son secrétaire, de son adjudant et de ses domestiques. Il ne manquait ni d’audace ni d’adresse. Il soutira au roi d’Espagne quelques milliers de duros et se fit avancer une somme considérable par une maison anglaise à laquelle il avait commandé 50,000 fusils au nom du gouvernement marocain. Après avoir ri de ses manèges, le sultan finit par s’en émouvoir, et Abdallah fut incarcéré. Son étoile venant à pâlir, sa femme s’enfuit avec son secrétaire. On ne tarda pas à découvrir que ce prétendant n’était qu’un ex-sous-officier français, nommé Ferdinand-Napoléon Joly, qui avait été condamné pour escroquerie à Paris et à Bruxelles. On lui offrait de le laisser courir à la seule condition qu’il consentirait à s’appeler Joly. Il s’y refusa noblement et il mourut dans sa fétide prison.

Abdallah était inoffensif ; mais on trouverait facilement au Maroc plus d’un cheik ambitieux, prêt à combattre les combats du Seigneur et qui, s’autorisant de vagues prophéties, se considère comme le sauveur prédestiné de l’islam. M. Lenz rencontra sur sa route un de ces énergumènes, qui ne demandait que 2,000 hommes et un million de francs, pour devenir le sultan d’un grand empire, Dans tous les pays