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faire ouvrir des maisons de jeu dans toutes les villes du royaume, particulièrement dans celles qui étaient situées sur le bord de la mer. « C’est ainsi, nous apprend le commandant des galères du pape, qu’on en use à Naples, à Gênes et en Sicile. Le prince envoie ensuite des hommes adroits et de bonnes manières qui, simplement et sans encourager pour cela aucune fraude, prêtent de l’argent à quiconque veut tenter la fortune. Les joueurs malheureux acquitteront leur dette en s’engageant comme buonevoglie. Plus d’un jeune homme vain et irréfléchi se laisse séduire par la facilité de l’emprunt. Pour peu que le sort lui soit contraire, il faudra bien qu’il se résigne à se laisser attacher la chaîne au pied et à voguer jusqu’à ce qu’il ait payé ce qu’il doit. Voilà une merveilleuse manière de faire des galériens : tout se passe sans violence et les victimes vont d’elles-mêmes donner dans le panneau. » Je ne sais trop pourquoi, cette façon merveilleuse de recruter les chiourmes, qui sourit tant au capitaine Pantero Pantera, me choque plus que l’autre. Il y a là comme un détournement de mineurs que nos lois puniraient sévèrement aujourd’hui. Je préférerais, s’il me fallait choisir, me rallier au troisième et dernier moyen que nous indique le savant triérarque. « On expédie, dit-il, une division de galères bien armées et on l’envoie en course débarquer dans les îles. Le grand-duc de Toscane ne s’y prend pas autrement : il a tant d’esclaves qu’il en peut au besoin prêter aux autres princes. »

Comprenons bien ce que le capitaine italien veut dire : quand il parle d’îles, ce n’est pas aux îles d’Hyères ou aux îles de Lérins, à la Corse ou à la Sardaigne, à l’île d’Elbe ou à toute autre possession chrétienne qu’il en veut ; c’est sur les îles turques qu’il recommande d’envoyer enlever des esclaves. Seulement, ces esclaves, qu’on emmènera pour les mettre à la chaîne, ce ne seront pas des Turcs, ce seront des Grecs. En 1570, le sénateur Zane, général de la flotte vénitienne, ne remplaça pas autrement les rameurs qu’il avait perdus. Il détacha, pendant qu’il hivernait dans les ports de Candie, le provéditeur Marco Quirini avec une division de choix vers les îles de l’Archipel. Marco Quirini s’acquitta de sa mission avec une activité et un zèle qui lui méritèrent les éloges du sénat : il est vrai que les Grecs des Cyclades se souviennent encore de son passage.

Nos rois furent plus honnêtes que les doges et les amiraux de Venise : ils ne volèrent pas les esclaves, ils les achetèrent. Un Turc se payait au XVIIe siècle de 400 à 450 livres, argent comptait. « Ces esclaves, disait-on alors, sont extrêmement vigoureux, très endurcis à la fatigue, fort grands, infiniment plus propres pour cette raison que les forçats à servir d’espaliers et de vogue-avans. » C’est très probablement des galères du roi Louis XIV que nous est venu le proverbe : « Fort comme un Turc, » Le Grand-Seigneur, malheureusement,