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hier qu’on nous a fait des excuses, que tout s’est arrangé. « Qu’on dise ce qu’on voudra, écrivait il y a deux mois, dans la Gazette de Cologne, un célèbre voyageur allemand, M. Gerhard Rohlfs, il y a une question marocaine. On s’applique peut-être à l’étouffer, à l’assoupir ; cela n’ira pas longtemps. » Heureusement le Maroc est un pays où les choses qui vont mal peuvent aller longtemps encore. Quand la marmite menacera de faire sauter son couvercle, il se trouvera quelqu’un pour l’écumer, après quoi elle recommencera à bouillir à petit feu.

Anglais, Allemands ou Français, les voyageurs qui ont réussi à visiter le Maroc s’accordent à déplorer que ce grand pays, plus grand que l’empire d’Allemagne, soit si mal gouverné, si mal administré. Il a sur l’Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine l’avantage de faire front sur deux mers, d’avoir des ports et dans la Méditerranée et dans l’Océan. Il jouit encore de cet avantage que, possédant les massifs les plus élevés de l’Atlas, il a plus d’eau courante, et que nombre de ses fleuves ou de ses rivières ne tarissent jamais. On y trouve presque partout un climat sain et des terres fertiles, qui, selon les latitudes, se prêtent aussi bien à la culture des céréales qu’à celle des dattes. On affirme que ses montagnes sont riches en minerai ; on le saurait mieux s’il était permis de s’en assurer. En matière d’industrie, les Marocains vivent sur leur passé ; mais ce passé était si beau que les restes en sont bons. On sait combien ils excellent dans la fabrication des tapis, dans le travail des cuirs, dans la poterie. Leurs pères étaient de grands maîtres en architecture comme dans l’art de canaliser un cours d’eau ou d’irriguer des jardins. On jouit de ce qu’ils ont fait, mais on ne s’entend pas même à le conserver, témoin les palais qui tombent en ruine et les canaux qui se dégradent.

Le Moghreb est naturellement si riche, que dans les districts où la funeste influence de l’administration ne se fait pas trop sentir, il y a de la prospérité, presque du bonheur. Tout récemment, un audacieux explorateur français, M. de Foucauld, a trouvé moyen de parcourir dans toute sa longueur la région de l’Atlas marocain. Il n’a pas ménagé ses pas ; en additionnant les distances, qu’il a franchies, on arrive à un total de 3,200 kilomètres. Nous lisons dans le journal encore inédit de son voyage, qu’on a bien voulu nous communiquer, que le grand et le petit Atlas renferment « des vallées profondément encaissées et le plus souvent à pic, dont le fond est entièrement couvert de cultures, de jardins, au milieu desquels se succèdent une multitude de riches villages, souvent si rapprochés les uns des autres qu’on a peine à les distinguer. » Plusieurs des tribus qui les habitent, ont conquis leur entière indépendance, et leur gouvernement est une démocratie tempérée par le Coran. D’autres ont des cheiks héréditaires et envoient chaque année au sultan, à titre d’hommage, un présent d’une valeur de 4 ou 500 francs ; mais là se borne leur sujétion. Elles ne reçoivent