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présence d’une petite quantité de sel de soude libre. Plus récemment encore, un jeune chimiste suédois, M. Hamberg, qui a étudié les eaux des mers groënlandaises, a pu mener à bonne fin des dosages encore plus précis et constater quelques faits nouveaux. D’accord avec notre compatriote, M. Schlœsing, il pense que l’eau de mer contient à la fois des carbonates neutres, des bicarbonates et de très légères traces d’acide carbonique libre, la température et la pression atmosphérique possédant une influence complexe, non-seulement sur le gaz non combiné, mais sur celui qui est uni aux bases.

L’origine de la salure de l’océan est ou un problème facile à résoudre, ou bien une question très complexe. Comme réponse simple, on peut toujours dire que les fleuves gigantesques des époques primitives ont drainé leurs vallées et ont rassemblé dans le vaste bassin qui recouvre les trois quarts de notre globe toutes les matières solubles ; en tant que preuve à l’appui, on peut citer l’exemple de la Mer-Morte, du lac de Van, du Tchad, du Titicaca et de quantité d’autres lacs sans écoulement, tous saturés de sels ou saumâtres pour le moins. En définitive, cela revient à expliquer que la mer est salée parce qu’elle est salée, et, comme beaucoup de détails nous manquent, nous ne pouvons donner une solution complète ni satisfaisante. Nul ne croit plus maintenant à d’immenses bancs de sel gemme situés au fond des grands abîmes ; cette idée était autrefois si générale que, dans ses rapports à l’Académie, un naturaliste de mérite, comme le comte Marsigli, se demandait, il y a cent cinquante ans, pourquoi l’eau n’était pas saturée, bien que le sel ne lui eût assurément pas manqué[1]. Mais sommes-nous sûrs que les théories qui ont cours aujourd’hui ne prêteront pas à rire aux savans qui viendront après nous ?


ANTOINE DE SAPORTA.

  1. Rabelais lui-même explique à sa manière l’origine du chlorure de sodium de l’océan. Il prétend que lorsque le char du soleil, mal dirigé par Phaéton, se détourna de sa course normale pour frôler la terre, le globe transpira fortement. Les mers furent le résultat de cette exsudation, « car, dit-il, toute sueur est sallée. Ce que vous direz estre vray si voulez taster de la voatre propre. »