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connaissaient de longue date, sans en comprendre la raison. L’eau de mer, après son passage à l’état solide, n’offre plus la même composition chimique qu’auparavant, mais outre cette altération dont nous parlerons plus loin, on peut constater une particularité du plus haut intérêt. Si la température est très basse, la glace de l’océan, comme presque tous les corps connus, se contracte par le froid ; mais à quelques degrés sous zéro et avant de fondre, elle diminue de volume, lorsqu’on l’échauffe, et se dilate par le refroidissement. De plus, entre — 10° et — 20° suivant l’âge et la provenance du bloc, il se produit un minimum de densité, la masse acquérant son volume maximum, c’est-à-dire que le solide, subit un phénomène précisément inverse de celui que montre l’eau de rivière.

Tout en se contractant par réchauffement vers — 5° ou — 8°, la glace d’eau salée perd plusieurs des caractères qu’elle possède par un froid suffisant et qui lui sont communs avec la glace ordinaire. Elle n’a plus cet aspect vitreux, cette fragilité, cette homogénéité que nous connaissons tous ; elle devient plus molle, plus plastique, moins transparente ; sa cassure est moins nette, et les fissures, les cavités se multiplient. Aussi l’eau saumâtre congelée a-t-elle perdu toute saveur désagréable, mais elle n’en est pas moins fort peu appréciée dans le commerce, à cause de son vilain aspect et de son défaut de limpidité. Les voyageurs qui font des excursions durant l’hivernage préfèrent de beaucoup une température très basse à un air moins froid (bien que notablement inférieur à zéro), grâce auquel les ice-bergs se disloquent, tandis que les champs de glace ne présentent plus qu’une surface tourmentée, fendillée, sur laquelle il est impossible de s’avancer en traîneau. Si un espace uni s’étendait jusqu’au pôle, celui-ci serait conquis depuis longtemps, mais par malheur cette plaine, non plus que la fameuse mer libre, n’a jamais été entrevue.

Lorsqu’un kilogramme d’eau pure se solidifie, il se dégage une certaine quantité de chaleur qu’absorbe le milieu plus froid dont l’influence détermine la congélation. De même 1 kilogramme de glace qui entre en fusion emprunte au foyer qui l’échauffé une dose de chaleur précisément égale. Ces deux règles ne sont pas applicables à 1 kilogramme d’eau salée, qui gèle au-dessous de zéro degré, en dégageant moins de calories ou unités de chaleur que l’eau douce (50 à 60 au lieu de 80 environ.) La même masse solidifiée en absorberait tout autant pour être fondue sur-le-champ. Nous expliquerons plus loin quelle est la composition chimique des glaces marines à différentes époques et nous verrons que les ice-bergs formés depuis longtemps ont perdu la plus grande partie des sels qu’ils contenaient primitivement, en sorte qu’il n’entre