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scandinaves, s’est assuré que, même près des fjords de leurs pays, on voyait parfois, bien que rarement, les profondeurs de la mer « vomir des fragmens de glace. » Du reste, voici reproduit textuellement, le témoignage d’un de ces marins relativement à ce fait curieux et encore mal connu : « Non pas chaque année, mais assez fréquemment, en pleine mer libre, j’ai vu de la glace remonter brusquement à la surface. Si le temps est calme, les faits se passent de la manière suivante : jusqu’à perte de vue, on aperçoit des petits « gâteaux » en forme d’assiette qui, venant du fond, s’élèvent jusqu’à la superficie. Le tranchant est en l’air, mais dès que la partie supérieure de l’assiette a dépassé le niveau de l’eau, l’assiette se retourne d’elle-même et se couche à plat sur le liquide. Ce phénomène est une cause de dangers, car un bateau peut ainsi en quelques minutes être entouré d’immenses masses de glaces nouvelles[1]. »

Abstraction faite de cette anomalie, il est bien rare que de gros fragmens de glace se forment isolément en pleine mer. Effectivement, l’eau de salure ordinaire s’alourdit à mesure qu’elle se refroidit, car elle gèle vers — 2°, et, comme nous l’avons expliqué, elle ne saurait atteindre vers — 4° son maximum de densité que si on la maintenait artificiellement à l’état liquide. L’eau qui a perdu de son calorique au contact de l’atmosphère s’enfonce bientôt ; parfois, comme l’atteste Scoresby, la glace qui s’est formée dans les couches moyennes remonte à la surface, tandis que les thermomètres des sondes indiquent pour le fond des températures voisines du point de congélation ou même encore inférieures. M. Otto Pettersson est d’avis que, si l’eau soumise à un froid vif (— 3°,2 : Palander ; — 5°,1 : Leigh Smith) ne se solidifie pas, c’est que son immobilité favorise la surfusion, ou bien encore, ce qui est fort possible, nous ne connaîtrions pas toutes les lois de la nature. On sait depuis longtemps que l’eau distillée, très comprimée, se glace un peu au-dessous de zéro ; peut-être l’eau de mer se comporte-t-elle d’une manière analogue ; mais les physiciens qui ont voulu déduire les propriétés inconnues de l’eau salée par assimilation avec les caractères de l’eau distillée ont commis tant de méprises, qu’il vaut encore mieux rejeter cette explication insuffisante.

Par une longue série d’expériences très exactes, M. Pettersson a réussi à expliquer divers phénomènes qui se manifestent dans les glaces des mers boréales et que les explorateurs arctiques

  1. Nous devons ces détails à la bienveillance de M. Otto Pettersson, qui nous a également communiqué un grand nombre de notions intéressantes, fruits de ses travaux personnels.