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voulait dessaler l’eau de mer en la refoulant, au moyen d’une pompe de compression, à travers un filtre rempli de litharge, expérience qu’il ne tenta du reste jamais. Sur la foi de Pline, on s’imaginait qu’une bouteille hermétiquement scellée, descendue vide au fond de l’Océan, puis, retirée, se remplirait d’eau pure. Un nommé Cossigny prouva que la bouteille se casserait ou resterait vide et répéta le même essai avec des globes de verre qui demeurèrent parfaitement secs à l’intérieur. D’autres naturalistes essayèrent des filtres de terre ou de sable ; mais Réaumur et l’abbé Nollet ayant réussi à construire un filtre gigantesque formé d’une série de tubes en verre bourrés de sable fin et s’emboîtant à la file sur une longueur d’un millier de toises, reconnurent que le liquide versé à l’orifice supérieur ressortait par le bas tout aussi salé qu’auparavant. L’Anglais Lister (1684) plaçait dans un alambic, qu’il ne chauffait pas, des algues marines d’espèces particulières à moitié plongées dans l’eau, comme les tiges des fleurs d’un bouquet : l’eau douce, d’après lui, devait perler en gouttelettes à la partie supérieure des plantes, mais il convenait, qu’il n’obtenait pas grand résultat de son étrange procédé. Samuel Reyer fit du moins une observation utile en s’assurant que la glace d’eau de mer fondue fournit une eau bonne à boire.

En dépit de tous les appareils distillatoires imaginés par Hauton, Applehy (1753), Lind (1761) en Angleterre, par Gaulthier de Nantes (1717)[1] et Poissonnier (1765) en France, sans compter bien d’autres inventeurs que nous omettons volontairement ou non, on continua jusqu’à ces derniers temps à s’abreuver sur les navires, tout comme par le passé, avec de l’eau conservée dans les futailles. Ces belles inventions étaient peu pratiques, et le maniement d’un alambic (chose du reste trop compliquée pour un simple maître-coq) devenait bien difficile quand la mer était grosse.

En définitive, la mer est une immense et inépuisable source minérale ; il est probable que, si elle ne contenait que de l’eau pure, une fontaine saline aussi riche en principes minéraux que l’est en réalité l’océan, verrait affluer les buveurs en foule et serait recommandée pour l’usage interne dans toutes les maladies imaginables. Probablement à cause de son abondance et de sa vulgarité, l’eau de mer n’a cependant jamais été beaucoup employée à l’intérieur. Inversement, l’action thérapeutique des bains de mer pourrait servir de prétexte à de longues digressions dont nous ferons grâce à nos lecteurs.

  1. Gaultier, voulant, autant que possible, imiter la nature, avait eu l’idée de placer le feu au-dessus de la cucurbite, sous prétexte que le soleil, cause normale de l’évaporation de l’eau de mer, dominait celle-ci : Sol ad se rapit.