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Le liquide qui baigne nos côtes est sensiblement inodore ; quand il ne l’est pas, c’est qu’il se trouve vaseux ou qu’il contient des matières organiques en décomposition, comme il arrive dans les ports de mer, par exemple. Il va sans dire que l’eau peut acquérir au bout de quelques jours, par la corruption de ses impuretés, une odeur qu’elle n’avait pas au début. Si la bouteille dans laquelle on conserve la liqueur salée est garnie d’un bouchon de liège, celui-ci est quelquefois rongé et il se forme de l’hydrogène sulfuré, dont chacun connaît le parfum peu agréable.

L’eau de mer doit sa saveur caractéristique tant au chlorure de sodium dissous qu’aux sels amers de magnésie qu’elle renferme. Fort souvent, des débris organiques ou de faibles doses de substances grasses se mêlent aux couches superficielles, en sorte que, dans les parties profondes, le liquide excite moins les nausées. Pourtant, chacun boit avec plaisir l’eau contenue dans les huîtres et les moules : en voici la raison. Lorsque l’animal ferme sa coquille, il emprisonne entre les valves une certaine qualité d’eau de mer qui lui permet de continuer pendant quelque temps ses fonctions respiratoires. Mais lorsqu’on ouvre le coquillage avec un couteau, on déchire plus ou moins les tissus mous de l’animal et une certaine proportion de liquide sanguin du mollusque vient se mélanger à l’eau, dont il corrige le goût. Ajoutons que les huîtres se plaisent surtout dans les parages saumâtres et que celles qui ont été élevées dans des milieux à forte salure, comme par exemple à Cancale, se reconnaissent très bien à leur saveur spéciale. Les moules prospèrent dans le voisinage des côtes et souvent naissent, vivent et sont pêchées au milieu de détritus qu’elles absorbent partiellement, en les transformant en certains alcaloïdes très vénéneux nommés ptomaines ; c’est pourquoi, à certaines époques de l’année, elles sont malsaines. Il est inutile, à cet égard, de recourir à la vieille légende relative aux cuivres des doublages absorbés sous forme de sels, d’autant plus qu’actuellement il est à peu près démontré que les sels de cuivre ne sont pas toxiques.

En vieux préjugé scientifique, qui a régné fort longtemps, voulait que l’amertume de l’eau de mer lût causée par des traces de bitume. Pourtant l’eau, hâtons-nous de le dire, n’est nullement bitumineuse. Les chimistes qui analysaient le liquide se consolaient facilement de ne pas y rencontrer la moindre trace de la matière dont ils soupçonnaient l’existence en pensant que la dose était trop faible pour être appréciable. Le comte Marsigli, qui, dans le cours de ses travaux, réalisés vers la fin du règne de Louis XIV, voulut fabriquer de l’eau de mer artificielle, eut grand soin d’ajouter du bitume aux sels qu’il fit dissoudre pour que la reproduction