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n’avoir traversé qu’une couche mince, conservent leurs parties jaunes. Si les phénomènes de réflexion sont atténués, l’eau semble verte, et s’ils n’existent pas, faute de substance solide, la mer est d’un beau bleu. Au milieu d’un océan indigo, les crêtes des vagues paraissent vertes à cause de leur faible épaisseur ; il n’est pas, remarque Tyndall, jusqu’aux ventres blancs des marsouins qui ne prennent des colorations variées suivant la profondeur à laquelle nagent ces animaux.

Du reste, toutes les règles précédentes sont applicables à l’eau douce, et l’influence de la salure sur la nuance de l’eau de mer est presque nulle. Pas tout à fait cependant, car, suivant M. W. Spring, les particules argileuses, qui rendent les flots jaunâtres sont précipitées d’autant plus rapidement que la mer est plus salée. Dans les parages à forte salure, comme dans la Méditerranée, la teinte bleue est plus nette ; elle est, au contraire, moins accusée dans les régions saumâtres.

Une foule de circonstances accidentelles ou de causes locales troublent ces lois générales : ainsi la présence d’algues ou d’animalcules microscopiques peut avoir une grande influence sur la couleur de l’eau ; de plus, dans les bassins médiocrement creux, la teinte propre du fond intervient évidemment. Quant aux phénomènes de phosphorescence (mer de lait, etc.) ils se rapportent à un ordre d’idées qui s’écarte de notre sujet.

Beaucoup de mers ou de golfes ont reçu des noms qui semblent faire allusion à leurs couleurs. Quelques-uns de ces termes s’expliquent sans difficulté, mais d’autres sont plus malaisés à comprendre. Il est presque inutile de dire que la Mer-Blanche a été ainsi appelée à cause de ses glaces, que la Mer-Noire a dû son nom à ses tempêtes et la Mer-Jaune des Chinois à ses flots souillés du limon dragué par les fleuves de l’empire du Milieu. Les vagues de la mer Vermeille, près de la Californie, sont teintes par le Rio Colorado, qui porte lui-même une dénomination caractéristique. En revanche, on ne sait trop pour quel motif le golfe Arabique a été appelé Mer-Rouge. Il y a une trentaine d’années, un orientaliste, M. de Paravey, avait émis une idée originale ; les Levantins, affirme-t-il, consacrent à chacun des quatre points cardinaux une couleur spéciale : au nord, le noir ; au sud, le rouge ; à l’est, le vert ; à l’ouest, le blanc. Si l’on se place dans les plaines de l’Euphrate, la Mer-Noire est vers le nord, la Mer-Rouge au midi, et, de plus, le soleil semblera se lever dans le Golfe-Persique et se coucher dans la Méditerranée. Or les Orientaux appellent souvent celle-ci la Mer-Blanche et qualifient toujours le Golfe-Persique de Mer-Verte. Du reste, les eaux en sont réellement d’un beau vert.