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protectionnistes, comme si les droits protecteurs avaient jamais remédié à quoi que ce soit. Quelle serait d’ailleurs la conséquence d’une surélévation des droits sur les blés ou sur les bestiaux ? D’accroître le prix du pain et de la viande. Or ce prix, trouve-t-on qu’il n’est pas encore assez élevé et que la vie en France et ailleurs soit à trop bon marché ? En comparant les prix actuels avec ceux d’autrefois, il est permis d’en douter. Le résultat le plus clair d’un retour général au système protecteur serait la suppression, ou, tout au moins, le ralentissement des échanges internationaux. Personne, je suppose, n’oserait affirmer que ce résultat fût désirable et que l’humanité gagnât à ce que les peuples restassent confinés chacun dans ses frontières.

La question des droits protecteurs est beaucoup plus complexe qu’elle ne paraît. Quand on va au fond des choses, on s’aperçoit que ces droits ne sont le plus souvent qu’un trompe-l’œil et que, loin de profiter au pays qui les établit, ils lui sont toujours nuisibles. Non-seulement ils pèsent sur les consommateurs indigènes, mais ils vont parfois contre l’objet pour lequel ils ont été établis. Ainsi, pour rester sur le terrain agricole et sicilien, bien que le domaine du Zucco, par exemple, appartienne à un Français, ses produits en entrant en France sont considérés comme étrangers et traités comme tels. Ils émanent, il est vrai, d’un sol et d’un travail étrangers, mais les bénéfices qu’ils procurent enrichissent notre pays. Il en est de ces bénéfices comme des dividendes touches par les actionnaires dans les entreprises étrangères telles que l’isthme de Suez, les chemins de fer autrichiens ou les charbonnages belges. Les colonies n’ont pas d’autre objet ; elles sont créées pour faire fructifier les capitaux nationaux par l’exploitation des richesses naturelles qui s’y rencontrent, et quand ce sont des Allemands ou des Anglais qui vont s’y établir, ce sont eux et non pas nous, qui en profitent et qui recueillent les fruits des dépenses d’installation que nous y avons faites.

La protection, qui n’a en vue que l’intérêt du producteur indigène et non celui du pays pris dans son ensemble, n’est donc pas un remède à la crise agricole que nous traversons, parce que cette crise est générale et n’est pas uniquement due, comme on se plaît à le dire, à la concurrence étrangère, mais tient surtout à la rupture de l’équilibre entre l’agriculture et l’industrie. Il y a intérêt pour la première à ce que la seconde ne lui enlève pas les bras dont elle a besoin, et par conséquent à ce qu’on ne lui donne pas au moyen de droits protecteurs une activité factice.

En France, la crise a d’autres causes encore, telles que l’incertitude du lendemain, l’exagération et la mauvaise assiette des impôts,