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aux classes laborieuses et s’y recrute sans cesse, car il n’est pas aujourd’hui un millionnaire qui n’ait débuté, lui ou ses parens, pas être un simple ouvrier salarié. S’il est arrivé à l’aisance, c’est exclusivement à son travail et à sa valeur morale qu’il le doit et c’est ce qu’on ne devrait jamais se lasser de répéter à ceux qui se plaignent de leur sort et qui se croient victimes de l’organisation sociale. Ceux qui n’entrevoient pas la possibilité d’améliorer régulièrement leur situation en cherchent les moyens dans la violence et deviennent un danger pour l’ordre public. La classe moyenne doit servir de soupape à ces aspirations et c’est pour ce motif qu’il est désirable de la voir s’établir en Sicile. C’est à elle d’ailleurs que celle-ci devra le développement de son industrie, qui fait aujourd’hui à peu près défaut. Malgré les quelques usines métallurgiques et autres qui se rencontrent dans les provinces de Messine et de Palerme, c’est au continent qu’il faut demander les machines à vapeur, les instrumens agricoles, les pressoirs pour la vendange, les bouteilles pour le vin, les presses pour les olives, les robinets pour les récipiens d’huile, et tous ces objets, quand ils viennent de France, sont soumis à des droits élevés qui pèsent en définitive sur l’agriculture, dont ils entravent l’essor. Il serait désirable qu’ils pussent être fabriqués dans le pays, sans pour cela que l’industrie prît une trop grande extension, parce qu’en Sicile celle-ci ne doit être que l’auxiliaire de l’agriculture.

C’est en grande partie à l’exagération des progrès industriels qu’il faut attribuer la crise agricole que subissent aujourd’hui la plupart des pays d’Europe, à cause de la surélévation du prix de la main-d’œuvre qu’ils ont provoquée, et de l’augmentation des frais de production qui en est la conséquence. C’est un lieu-commun absolument faux de prétendre qu’elle est due à la concurrence des produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, qui sont vendus sur nos marchés à un prix insuffisamment rémunérateur pour les cultivateurs européens. Est-ce bien, en effet, cette concurrence qui est la cause du mouvement agraire de l’Irlande ; de l’avilissement du prix des laines en Écosse, qui a diminué d’un tiers la population ovine de ce pays ; du bon marché des viandes fraîches et salées en Angleterre ; de l’abandon des campagnes en France par la population ouvrière qui émigré dans les villes ; de l’obligation où s’est trouvé le gouvernement italien d’expulser en neuf ans soixante mille propriétaires qui me pouvaient payer leurs impôts et de la misère où se trouvent dans plusieurs provinces les classes agricoles ? C’est effectivement à elle qu’on a fait remonter la responsabilité de ce malaise général et c’est dans l’espoir d’en atténuer les effets que tous les gouvernemens ont fait un retour vers les idées