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le fait est là et il faut savoir le mettre à profit. L’eucalyptus croit parfaitement en Sicile, où.il n’a pas à craindre les gelées, qui quelquefois le font périr sur notre littoral méditerranéen.

Si des conditions naturelles dans lesquelles se trouve l’agriculture en Sicile, nous passons à l’examen des conditions économiques, nous nous trouvons en présence d’une situation moins satisfaisante. Des trois facteurs de la production agricole, la terre, le capital et le travail, la première est encore dans un très petit nombre de mains incapables de la mettre en valeur, et le capital pour l’acquérir fait défaut à ceux qui pourraient la cultiver. Cet état de choses est très préjudiciable à la production et maintient à l’état inculte de vastes terrains qui pourraient être couverts de riches moissons. Le travail est à bon marché, parce que la population est nombreuse ; mais celle-ci est ignorante et misérable. C’est de l’amélioration progressive de son bien-être que dépend l’avenir agricole de la Sicile. Des symptômes de transformation se manifestent déjà de ce côté. La facilité des communications pousse en effet les ouvriers à chercher ailleurs une meilleure rémunération de leur labeur, et l’émigration fait tous les jours des progrès. En 1881, l’émigration italienne hors de l’Europe s’est élevée à 87,217 individus. Ce sont autant de bras de moins pour faire concurrence aux travailleurs sédentaires ; ce sont autant de colons qui, sur la terre étrangère, deviendront des consommateurs pour les produits nationaux, et serviront de débouché au commerce italien. L’émigration est donc un bienfait, parce qu’en enlevant aux parens toute préoccupation sur l’avenir de leurs enfans, elle permet à la population de se développer sans obstacle. Les peuples qui n’émigrent pas, comme les Français, sont condamnés à voir leur race diminuer au regard des races rivales qui se répandent au dehors.

D’autre part, il commence à se former en Sicile une classe de paysans propriétaires qui se substitueront peu à peu aux anciens barons féodaux, possesseurs des latifundi. La formation de cette classe moyenne assurera à jamais la sécurité encore précaire des campagnes et deviendra pour le pays la pierre fondamentale de sa prospérité. La classe moyenne, en effet, depuis le simple artisan qui travaille pour son compte ou le maraîcher qui cultive quelques ares de terrain, jusqu’au banquier qui manie des millions et construit des chemins de fer, est seule en situation de mettre en œuvre les forces productives d’un pays et d’en accroître la richesse. Elle donne accès à tous. En France, elle la déjà absorbé l’ancienne noblesse, qui n’a plus comme autrefois le droit de vivre dans l’oisiveté, et qui, pour maintenir sa situation sociale, est actuellement obligée de faire preuve de capacité et d’intelligence. Elle s’ouvre