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même façon les vins naturels, parce que ce sont, en définitive, les consommateurs qui en feraient les frais. Il semble, en effet, que les vins, même douteux, sont aujourd’hui assez chers pour qu’il ne soit pas désirable de les renchérir encore. Ce qui prouve que les prix sont déjà trop élevés, c’est la quantité de falsifications plus ou moins nuisibles dont le vin est l’objet, et qui tendent toutes à remplacer celui-ci par de l’eau. Sans parler du mouillage, que les marchands de Paris ont élevé à la hauteur d’une question d’état, les liquides fabriqués avec de l’eau sucrée ou des raisins secs, ne sont-ils pas des concurrens autrement redoutables pour nus viticulteurs que les vins d’Italie ou d’Espagne ? Ne vaudrait-il pas mieux que ces derniers pussent pénétrer chez nous et s’y vendre à des prix modérés que de nous abreuver de produits chimiques dont la santé publique a nécessairement à souffrir ? C’est surtout sur les marchés étrangers que nos vins ont à redouter la concurrence des vins italiens ou espagnols, qui s’y présentent sous des noms français. Contre les fraudes de cette nature les droits protecteurs sont impuissans ; c’est à des traités internationaux qu’il faut demander la répression d’un abus dont tout le monde souffre et qui décourage tout commerce honnête.

Qu’on veuille bien remarquer d’ailleurs que les besoins de la consommation sont illimités. En France, la moitié de la population ne boit pas de vin et ne demanderait pas mieux que d’en boire ; tous les peuples du Nord sont dans le même cas. Le développement des voies de communication ouvre tous les jours de nouveaux débouchés, et l’on n’a pas à craindre que jamais la quantité de vin produite dépasse la demande. Il y a donc encore de la marge pour nos viticulteurs ; aussi n’est-ce pas dans la surélévation des droits qu’ils doivent chercher le remède à la crise qu’ils traversent aujourd’hui, mais dans la diminution du prix de la main-d’œuvre et dans la recherche des moyens de préserver la vigne des fléaux auxquels elle est en butte. Sous ce rapport, ils ne peuvent malheureusement pas reprocher aux vignobles de la Sicile leur situation privilégiée.

Le phylloxéra, en effet, fit son apparition à Riesi en 1872, et, peu après, aux environs de Messine. Il resta à l’état latent jusqu’en 1879 et ne s’éloigna pas des lieux où on l’avait vu d’abord ; peu à peu il se propagea de proche en proche ; si bien qu’aujourd’hui il a envahi une grande partie de l’Ile et qu’on s’attend à le voir apparaître dans la province de Palerme. En présence des chiffres que nous avons donnés plus haut, on comprend quelle atteinte il va portera la fortune publique. Aussi le gouvernement s’en est-il vivement ému et s’est-il empressé, comme on l’a fait chez nous en pareille