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questions les plus délicates et qui donna lieu à de nombreux procès, ne dura que huit années, de 1863 à 1871 ; grâce au zèle et à l’esprit de justice de M. Simone Corleo et des commissions qui en furent chargées, elle s’opéra, non-seulement sans léser aucun intérêt, mais en améliorant la situation de ceux même qui, dans le principe, s’y étaient montrés le plus hostiles. Elle porta, déduction faite de 40,000 hectares de bois, vignes et mines, sur 6,175 fonds d’une contenance de 192,000 hectares, qui furent répartis en 20,300 lots et loués par adjudication au prix de 5,977,218 francs. Avant 1860, ces biens ne rapportaient que 4,224,159 francs. On obtint donc par là une augmentation de revenu de plus d’un tiers au profit des anciens propriétaires, tout en améliorant la situation, des cultivateurs, qui peuvent aujourd’hui disposer de ces terres à leur gré.

Il ne faudra pas s’en tenir là. Si l’on veut que l’agriculture sicilienne puisse prendre tout son épanouissement, il sera indispensable de supprimer les latifundi pour arriver au morcellement de la propriété. La grande propriété, vestige de la féodalité, est un obstacle à la formation d’une classe moyenne et, par conséquent, au progrès agricole ; elle maintient forcément un système de culture extensif, c’est-à-dire la vaine pâture et ses abus ; elle empêche l’ouvrier des campagnes de devenir propriétaire et de s’éclairer en se moralisant. Ces grandes étendues de 2,000 à 3,000 hectares, louées sans baux, dépourvues de routes, de maisons salubres, sont un obstacle à la colonisation et perpétuent le brigandage. C’est à les dépecer que doivent tendre les efforts du gouvernement, car s’il n’y a pas en Sicile de question sociale, puisque les ouvriers n’ont à redouter ni la faim, ni le manque de vêtemens : il y a une question agraire, comme il y en a une dans tous les pays où la terre n’appartient pas à ceux qui la cultivent.

Ces idées font, du reste, leur chemin et sont journellement discutées dans les diverses publications agricoles, notamment dans la Sicilia agricola, journal hebdomadaire à la tête duquel se trouve un agronome distingué, doublé d’un économiste de premier ordre, le baron Nicolo Turrisi-Colonna. D’autre part, un institut agronomique dont le directeur actuel est le savant professeur Inzenga, verse chaque année dans le pays un certain nombre déjeunes gens instruits qui le transforment peu à peu en appliquant sur le terrain les leçons qu’ils ont reçues. Fondé à Palerme, en 1819, par le prince Charles Cottone de Castelnuovo, cet établissement est indépendant du pouvoir ; il est administré par les représentons du fondateur, qui nomment ou révoquent les professeurs et modifient les règlemens à leur gré, en se conformant à la loi. L’état n’intervient que pour y envoyer un certain nombre de boursiers et pour faire vérifier les comptes par la députation provinciale. L’enseignement qu’on y reçoit