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cherchant à s’y soustraire, allaient rejoindre ceux qui avaient déjà réussi à s’échapper et augmentaient d’autant le nombre des bandits. Aujourd’hui le pli en est pris, et le régiment est au contraire devenu un moyen de civilisation. Il donne à ceux qui y passent des idées d’ordre et ouvre leur intelligence en leur montrant les progrès réalisés sur les autres points de l’Italie. D’un autre côté, le gouvernement, sans exercer une répression moins énergique, a renoncé aux mesures arbitraires et organisé un service de surveillance qui a donné d’excellens résultats. Outre la police (questura) et la gendarmerie (carabinieri)[1] qui existent dans toutes les provinces de l’Italie, on a créé un corps de sûreté publique à cheval composé exclusivement de Siciliens. L’expérience, en effet, a démontré que les Siciliens seuls peuvent rendre d’utiles services par la connaissance qu’ils ont de la topographie du pays, du dialecte, des coutumes, des manières et des signes conventionnels en usage entre les habitans. Des étrangers n’aboutiraient à rien, par l’impossibilité où ils seraient de rivaliser d’astuce avec les paysans. La police est dans chaque province sous les ordres du commissaire central (questore) ; les carabiniers, commandés par un colonel, sont sous la dépendance du préfet. Ces diverses fonctions sont aujourd’hui confiées à des hommes expérimentés et habiles, qui, usant de bons procédés, agissant par la persuasion plus que par la violence, ont à peu près réussi à extirper le brigandage et à gagner la confiance des habitans.

Les jurés qui, autrefois, se laissaient intimider par les menaces, font maintenant courageusement leur devoir et n’hésitent plus à rendre des verdicts qui entraînent la peine capitale ; mais ces condamnations ne sont jamais suivies d’effet par ce motif que la Toscane, où la peine de mort était abolie, ne s’est réunie à l’Italie que sous la condition formelle qu’elle ne serait pas rétablie. Or le gouvernement, se refusant à faire sous ce rapport une différence entre les provinces, a étendu à toutes les autres l’immunité dont jouit la Toscane. Quoi qu’il en soit, la Sicile est aujourd’hui pacifiée et la sécurité aussi complète que sur les autres points de l’Italie. Elle sera absolue, en Italie comme ailleurs, lorsque les conditions économiques se seront modifiées de telle façon que le travail sera plus rémunérateur que le vol, et qu’il sera plus profitable d’être un honnête homme qu’un bandit. Aucun pays au monde sous ce rapport n’est mieux partagé que la Sicile, dont les inépuisables

  1. Il y a, à Palerme, une école spéciale de gendarmerie, où peuvent entrer les jeunes gens du contingent qui remplissent certaines conditions d’aptitude et où ils reçoivent l’instruction professionnelle nécessaire. C’est une excellente institution.