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en 1282, remplacés eux-mêmes par les Aragonais, auxquels succédèrent les Autrichiens, puis les Napolitains.

Sur le tuf sicane, qui forme l’assise fondamentale de la population sicilienne, tous ces peuples ont laissé leur empreinte plus ou moins profonde suivant qu’ils ont séjourné plus ou moins longtemps. Aussi, bien que la fusion des divers élémens soit aujourd’hui complète, on n’en remarque pas moins des différences notables dans le caractère des habitans des diverses parties de l’île. Ainsi, dans la province de Palerme, les mœurs se ressentent de la longue présence des Arabes et des Espagnols ; elles sont moins douces que dans celle de Catane, où domine l’élément grec. C’est à cet élément que la Sicile doit sans nul doute les nombreux grands hommes auxquels elle a donné le jour et parmi lesquels on peut citer Théocrite, Moschus, Diodore, Empédocle, Archimède, outre de nombreux peintres et sculpteurs. La Corse, au contraire, située sous le même ciel que la Sicile, montagneuse comme elle, peuplée comme elle par des populations d’origine ibérique, mais restée en dehors de L’influence hellénique, n’a produit ni poètes, ni philosophes, ni savans, ni artistes ; elle n’a enfanté qu’un seul grand homme, au génie sombre et fatal, Napoléon. C’est aux Grecs que l’on doit ces temples nombreux dont les ruines, dorées par le soleil, sont une des grandes beautés du paysage sicilien. Placés le plus souvent sur des collines éloignées de toute habitation, entourés de myrtes, de lentisques, de chênes verts, ces temples semblent faire corps avec ce qui les entoure, et, si parfaits qu’ils soient au point de vue architectural, ne tirent toute leur valeur que de la place qu’ils occupent et que les Grecs choisissaient avec un soin extrême. Ils firent de même pour leurs théâtres, qu’ils construisaient toujours sur les points d’où les contours de la côte apparaissent dans toute leur beauté, car ils tenaient à ce que le paysage charmât les yeux des spectateurs et servît de cadre splendide à l’action que les acteurs déroulaient, devant eux. Tel est notamment le théâtre de Taormina, situé sur une plate-forme dominée par des rochers escarpés, où vingt mille spectateurs pouvaient applaudir les vers d’Eschyle, tout en contemplant le colosse fumant de l’Etna ; les rivages découpés du détroit de Messine et les montagnes de la Calabre.

Après la question de race, c’est la question politique qui a eu le plus d’influence sur l’état moral de la population. En fait, la Sicile n’a jamais été libre ; elle a subi le joug des oppresseurs les plus divers, et, en dernier lieu, celui du clergé, qui n’a pas été le moins pesant. Ce n’est que depuis son annexion à l’Italie qu’elle se sent elle-même et qu’elle peut respirer à l’aise. Aussi la transformation qu’elle a subie depuis cette époque est-elle prodigieuse. Il y a vingt-cinq