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et Euryale ont suivi ce dernier chemin, tant qu’ils ont traversé le camp de Turnus ; lorsqu’ils en sortent, ils prennent à gauche : leur intention est sans doute de tourner l’extrémité du stagno di Levante et, de là, de se diriger en droite ligne sur la ville d’Évandre. Si l’on voulait aujourd’hui aller de cet endroit à Rome, il faudrait gagner Malafede ou Castel-Decimo par quelque route de traverse et prendre la via Ostiensis ou la via Laurentina, qui vous y mèneraient rapidement. Nous pouvons donc très nettement nous figurer où se trouvaient les malheureux jeunes gens, quand Volcens, qui venait de Laurente pour amener à Turnus une partie de ses troupes, les aperçut. Ils devaient être tout près de ce beau parc de Castel-Fusano, que l’on ne manque pas d’aller voir quand on visite Ostie, à l’endroit où commence la selva Laurentina, Virgile décrit ainsi la forêt qu’ils essaient de traverser :


Silva fuit late dumis atque ilice nigra
Horrida, quam densi complebant undique sentes ;
Rara per occultos lucebat semita calles.


Bonstetten fait remarquer que cette description n’a pas cessé d’être vraie. Aujourd’hui, comme du temps d’Énée, il y a dans toute cette région des fourrés impénétrables, où s’entrelacent les buissons et les ronces, et dans lesquels il est presque impossible de se diriger. Je me souviens d’un petit bois, entre Castel-Fusano et Tore Paterno, où je commis l’imprudence de m’engager et dont je ne suis sorti qu’avec beaucoup de peine et de meurtrissures, fort loin de l’endroit où je voulais aller. Évidemment, si Volcens m’avait poursuivi avec trois cents cavaliers rutules, je ne lui aurais pas échappé. Nisus parvient pourtant à s’en tirer. Le poète, qui tient avant tout à être précis, nous dit qu’il était arrivé à cet endroit, qu’on appela plus tard « le champ Albain[1], » lorsqu’il s’aperçut qu’il était seul. Euryale, moins habile, moins résolu, embarrassé par le butin dont il s’était chargé, était resté en route. Nisus

  1. J’ai quelque peine à comprendre comment ce passage de l’Enéide a causé tant d’embarras aux interprètes. Il est clair qu’il ne s’agit ici ni de la ville fondée par Ascagne, ni, comme Heyne le supposait, du lac situé au pied du mont Albain. Ils sont beaucoup trop loin du rivage, et il aurait fallu à Nisus une grande journée pour y aller et en revenir, tandis qu’il doit mettre bien moins d’une heure à son voyage. Virgile veut désigner un endroit du territoire de Laurente qui, pour des raisons que nous ignorons, avait reçu le nom de loci Albani, et qu’on appelait ainsi de son temps. Le soin qu’il prend de l’indiquer montre bien le désir qu’il avait d’être précis et d’attacher la scène à un lieu déterminé.